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Depuis qu’on a publié une version latine des dynasties d’Abulpharage[1], ce conte a été répété dix mille fois, et il n’est pas un savant qui n’ait déploré avec une sainte indignation cet irréparable anéantissement du savoir, des arts et du génie de l’antiquité. Quant à moi, je suis bien tenté de nier le fait et les conséquences. Quant au fait, il est sans doute étonnant. « Écoutez et soyez surpris, » dit l’historien lui-même ; et l’assertion isolée d’un étranger qui écrivait six siècles après sur les confins de la Médie, est contrebalancée par le silence de deux annalistes d’une époque antérieure, tous les deux originaires d’Égypte, et dont le plus ancien, le patriarche Eutychius, a rapporté fort en détail la conquête d’Alexandrie[2]. Le sévère décret d’Omar répugne aux préceptes les plus établis et les plus orthodoxes des casuistes musulmans ; ils déclarent en termes formels qu’on ne doit jamais livrer aux flammes les livres religieux des juifs et des chrétiens qu’on acquiert par le droit de la guerre, et qu’on

  1. Abulpharage, Dynast., p. 114. vers. Pococke. Audi quid factum sit et mirare. Je ne finirais pas si je voulais donner la liste des modernes qui ont cru et se sont étonnés ; mais je dois citer avec éloge le scepticisme raisonnable de Renaudot (Hist. Alex. patriar., p. 170 ; Historia… habet aliquid απισ‌τον ut Arabibus familiare est).
  2. On cherchera en vain cette anecdote curieuse dans les Annales d’Eutychius et l’histoire des Sarrasins d’Elmacin. Le silence d’Abulféda, de Murtadi et d’une foule de musulmans doit produire moins d’effet, parce qu’ils ne connaissaient pas la littérature des chrétiens.