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NOT. SUR LA VIE ET LE CARACT. DE GIBBON

réunit au contraire en un même corps, et donne ainsi plus de réalité et de vie à des objets qu’il présente dans leur ensemble. Mais nul ne pourra s’empêcher d’être frappé de la netteté d’un si vaste tableau, des vues presque toujours justes et quelquefois profondes qui l’accompagnent, de la clarté de ces développemens qui fixent l’attention sans la fatiguer, où rien de vague ne trouble et n’embarrasse l’imagination ; enfin de la rare étendue de cet esprit, qui, parcourant le vaste champ de l’histoire, en examine les parties les plus secrètes, le montre sous tous les points de vue d’où il peut être considéré ; et faisant, pour ainsi dire, tourner le lecteur autour des événemens et des hommes, lui prouve que les vues incomplètes sont toujours fausses, et que dans un ordre de choses où tout se lie et se combine, il faut tout connaître, pour avoir le droit de juger le moindre détail. C’est à la pénétration de l’historien, à cette admirable sagacité qui devine et fait suivre la marche réelle des faits, en mettant au grand jour leurs causes les plus éloignées, qu’est dû cet intérêt de narration qui règne dans tout le cours de l’Histoire de la Décadence et de la Chute de l’Empire romain ; et l’on ne saurait, à mon avis, accorder trop d’estime ni trop d’éloges à cette immense variété de connaissances et d’idées, au courage qui a entrepris de les mettre en œuvre, à la constance qui en est venue à bout ; enfin à cette liberté d’esprit qui ne se laisse enchaîner ni par les institutions ni par les temps, et sans laquelle il n’y a ni grand historien ni véritable histoire. Il ne reste plus qu’un mot à ajouter pour la gloire de Gibbon : un tel ouvrage, avant lui, n’était pas fait, et quoiqu’on pût y reprendre ou y perfectionner dans quelques parties, après lui il ne reste plus à faire.