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HISTOIRE DE LA DÉCADENCE

les mêmes circonstances, ce prince sentit avec quelle facilité la tendresse d’un père étouffe dans le cœur des souverains la sévérité d’un juge. Il délibérait, il menaçait, mais il ne pouvait punir ; son âme s’ouvrit alors, pour la première fois, à la pitié, et cet unique et dernier mouvement de sensibilité fut plus fatal à l’empire que la longue série de ses cruautés[1].

Mort de Sévère, et avènement de ses deux fils. A. D. 211, 4 février.

L’agitation de son âme irritait les douleurs de sa maladie : il souhaitait ardemment la mort ; son impatience le fit descendre plus promptement au tombeau : il rendit les derniers soupirs à York, dans la soixante-sixième année de sa vie, et dans la dix-huitième d’un règne brillant et heureux. Avant d’expirer, il recommanda la concorde à ses fils et à l’armée. Les dernières instructions de Sévère ne parvinrent pas jusqu’au cœur des jeunes princes ; ils n’y firent pas même la plus légère attention ; mais les troupes, fidèles à leur serment, obéirent à l’autorité d’un maître dont elles respectaient encore la cendre ; elles résistèrent aux sollicitations de Caracalla, et proclamèrent les deux frères empereurs de Rome. Les nouveaux souverains laissèrent les Calédoniens en paix, retournèrent dans la capitale, où ils rendirent à leur père les honneurs divins, et furent reconnus solennellement souverains légitimes par le sénat, par le peuple et par les provinces. Il paraît que l’on accorda, pour le rang, quelque prééminence au frère aîné ; mais ils gouvernèrent tous les

  1. Dion, l. LXXVI, p. 1283 ; Hist. Aug., p. 89.