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ET LE CARACTÈRE DE GIBBON

esprit que, dans une situation plus avantageuse, le calme de son imagination et de son âme, aurait peut-être laissé sans emploi fixe et déterminé. Cette activité d’esprit s’était manifestée dès son enfance, dans les intervalles que lui laissait une santé très-faible, et les infirmités presque continuelles dont il fut assiégé jusqu’à l’âge de quinze ans : à cette époque, sa santé se fortifia tout à coup, sans que depuis il ait ressenti d’autres maux que la goutte, et une incommodité peut-être accidentelle, mais qui, long-temps négligée, a fini par causer sa mort. La langueur, si peu naturelle à l’enfance et à la jeunesse, en réprimant les saillies de l’imagination, facilite à cet âge l’application toujours moins pénible à la faiblesse qu’à la légèreté ; mais la mauvaise santé du jeune Gibbon servant de prétexte à l’indolence de son père et à l’indulgence d’une tante qui s’était chargée de le soigner pour n’avoir point à s’inquiéter de son éducation, toute son activité se tourna vers le goût de la lecture, occupation qui favorise la paresse et la curiosité de l’esprit, en le dispensant d’une étude assidue et régulière ; mais dont une mémoire heureuse fit pour le jeune Gibbon le fondement des vastes connaissances que, dans la suite, il travailla à acquérir. L’histoire fut son premier penchant, et devint ensuite son goût dominant ; il y portait même déjà cet esprit de critique et de scepticisme qui a fait depuis un des caractères distinctifs de sa manière de la considérer et de l’écrire. À l’âge de quinze ans, il voulut entreprendre un ouvrage d’histoire, c’était le Siècle de Sésostris ; son but n’était point, comme on aurait dû le supposer de la part d’un jeune homme de quinze ans, de peindre les merveilles du règne d’un conquérant, mais de déterminer la date probable de son existence. Dans le système qu’il avait choisi, et qui fixait le règne de Sésostris, environ vers le temps de celui de Salomon, une seule objection l’embarrassait, et la manière dont il s’en tirait,