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Portier des Chartreux.


victorieux du plaiſir m’entraînoit ; qu’en peut-il arriver davantage, diſois-je, mon malheur eſt à ſon comble : que ce qui me l’a cauſé ſerve du moins à m’en conſoler.

Une nuit, après avoir reçû de Martin ces témoignages d’un amour ordinaire qui ne ſe rallentiſſoit pas, il s’aperçût que je ſoupirois triſtement & que ma main, qu’il tenoit dans la ſienne, étoit tremblante, (quand ma paſſion étoit ſatisfaite, l’inquiétude reprenoit dans mon cœur la place que l’amour y occupoit un moment avant) il me demanda avec empreſſement la cauſe de mon agitation, & ſe plaignit tendrement du miſteres que je lui faiſois de mes peines. Ah, Martin, lui dis-je, mon cher Martin, tu m’as perduë ! ne dis pas que mon amour pour toi n’eſt plus le même, j’en porte dans mon ſein une preuve qui me déſeſpére : je ſuis groſſe ! une pareille nouvelle le ſurprit. L’étonnement fit place à une profonde rêverie, je ne ſavois qu’en penſer. Martin étoit toute mon eſpérance dans cette circonſtance cruelle, il balançoit, que devois-je en penſer ? Peut-être, diſois-je, abatuë par ſon ſilence, peut-être médite-t’il ſa fuite, il va m’abandonner à mon déſeſpoir, ah, qu’il reſte,

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