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Portier des Chartreux.


il en avoit toutes les graces : la connoiſſance de ſon mérite caché me faiſoit paſſer légerement ſur la négligence de ſon extérieur, je m’aperçûs cependant qu’il s’étoit accommodé ce jour-là, & qu’il tâchoit de ſe donner meilleur air qu’à l’ordinaire. Je lui ſûs bon gré de ſon attention, que j’aimai mieux attribuer à l’envie de me plaire, qu’au mérite de la Fête qu’on célébroit : rien n’échape aux yeux d’une amante ; je le voyois qui jettoit les yeux du côté des Penſionnaires & tâchoit de me découvrir. Je ne voulois pas qu’il me reconnût, j’avois ſoin de me cacher, mais j’aurois été fâchée qu’il n’eût pas pris cette peine inutile : que veux-tu, j’en étois amoureuſe, mais amoureuſe à la rage. Juge ſi j’attendis avec impatience que la nuit fut venuë pour lui tenir la parole que je lui avois donnée.

Elle vint enfin cette nuit ſi ardemment ſouhaitée, minuit ſonna. Ah ! que je ſentis alors de trouble, je ne traverſai le coridor qu’en tremblant, & quoique tout le monde fut enfoncé dans le ſommeil, je croyois les yeux de tout le monde ouverts ſur moi. Je n’avois, pour me conduire d’autre lumiere, que celle de mon amour. Ah, diſois-je, en

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