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Histoire de Dom B…

Tel étoit mon état, quand en me promenant un jour dans le jardin ſeul, rêvant au malheur de ma deſtinée, je rencontrai le Pere Simeon, homme profond, qui avoit blanchi dans les travaux de venus & de la table, & tel que le vieux Neſtor, avoit vû pluſieurs fois renouveller le Couvent. Il vint à moi, & m’embraſſant tendrement, me dit ; ô mon Fils, votre douleur eſt grande, je le vois, mais que le ſujet ne vous en allarme point : mes longues méditations, & mon expérience conſommée m’ont fait découvrir un moyen de faire renaître en vous ce ſentiment vif pour le plaiſir, cette ardeur voluptueuſe qui caracteriſe le bon Moine, votre mal eſt grand ; mais aux maux déſeſpéres il faut de violens remedes.

La nature marâtre ne nous a donné des forces que juſqu’à un certain dégré : J’avoüe qu’elle nous traite nous autres Moines en enfans chéris ; mais la trop grande diſſipation dans un Moine peut faire ce qu’un moindre fera dans un homme ordinaire, & c’eſt cette diſſipation qui fait votre mal, c’eſt elle qui a cauſé votre dégoût. Il ne s’agit que de reveiller votre appétit malade par quelque mets ſucculans, & je ne