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Histoire de Dom B…

prenois-je auſſi-tôt, ne ſerai-je jamais grand pour en faire autant à une femme. Je mourrois ſur elle de plaiſir, puiſque je viens d’en avoir tant. Ce n’eſt là ſans doute qu’une foible image de celui que le Pere Polycarpe goûtoit avec ma mère : mais, pourſuivis-je, je ſuis bien ſimple : eſt-il abſolument néceſſaire d’être grand pour avoir ce plaiſir-là. Pardi, il me ſemble que le plaiſir ne ſe meſure pas à la taille, pourvû que l’on ſoit l’un ſur l’autre, cela doit aller tout ſeul.

Sur le champ, il me vint dans l’eſprit de faire part de mes nouvelles découvertes à ma ſœur Suzon. Elle avoit quelque années plus que moi : c’étoit une petite blonde fort jolie, qui portoit une de ces phiſionomies ouvertes, que l’on ſeroit tenté de croire niaiſes, parce qu’elles paroiſſent indolentes. Elle avoit de ces beaux yeux bleus, pleins d’une douce langueur, qu’il ſemble que l’on tourne ſur vous ſans intention, mais dont l’effet n’eſt pas moins ſûr que celui des yeux brillans d’une brune piquante, qui vous lance des regards paſſionnés : pourquoi cela ? Je n’en ſai rien ; car je me ſuis toûjours groſſierement contenté du ſentiment, ſans être tenté