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terre, rongent, mangent, ravagent et laissent les marques les plus funestes de leur passage, ou à ces armées de peuples barbares qui sortirent de leur marais pour inonder l’Europe.

Ils se haïssent, ils se détestent dans le particulier : l’intérêt commun les réunit. Rongés par leurs guerres civiles, ils n’en sont distraits que par les étrangères. Rien n’est mieux ordonné que l’extérieur de leur armée ; rien ne l’est moins que l’intérieur. Faut-il élire un général ? Que de factions, que de complots, que de brigues : autant que de moines ! On crie, on court, on s’agite, on se remue, on se bat, on se tue. S’agit-il de faire quelque incursion sur le monde, d’attenter à la bourse des fidèles, d’inventer quelques nouvelles pratiques de superstition ? C’est le même esprit qui les anime, c’est le même zèle qui échauffe, tous concourent au but général. Dociles aux ordres de leurs supérieurs, ils se rangent sous leurs drapeaux, montent en chaire, prient, exhortent, persuadent, entraînent des peuples imbéciles, qui suivent aveuglément leurs caprices, et les adoptent comme les règles nécessaires de leur conduite.

J’ajouterai à cet éloge des vers dictés par le bon sens et justifiés par l’expérience :

Tolle autem lucrum, superos et sacra negabunt,
Ergo sibi non cœlestis hæc turba ministrat :
Utilitas facit esse deos, quâ nempè remotâ,
Templa ruent, nec erunt aræ, nec Jupiter ullus.
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Sur tout ce que j’avais vu faire aux révérends, étant chez Ambroise, et en dernier lieu sur les galanteries du Père Polycarpe et Toinette, j’avais conçu les idées les plus riantes de l’état monacal. Je croyais que le froc était l’habit sous lequel on eût le plus libre accès dans

  1. Note de Wikisource : « Mais les prêtres, s’ils n’y voyaient pas de profit, nieraient la religion et les dieux. / C’est à eux-mêmes, non aux êtres supérieurs qu’ils rendent un culte ; / et ils ne prêchent des dieux que parce que ces dieux leur sont utiles ; / sans quoi bientôt les temples, les autels tomberaient en ruines, et il n’y aurait plus de Jupiter. » (Palingène, Zodiaque de la vie, traduit par Louis de Potter, disponible sur Gallica)