semaines sans nouvelles, car le blocus ennemi allait les mettre en dehors de toutes communications avec le monde civilisé. Oui, elle bénissait Dieu d’avoir inspiré à son père une résolution grâce à laquelle ils n’étaient pas séparés.
Le père, ému de cette vaillante tendresse, remerciait son enfant d’un sourire, mais si fugitif et si vague, qu’il n’arrivait pas à détendre le pli soucieux de sa bouche, à éclaircir l’ombre appesantie sur son front. Ses transes étaient si profondes !… Si, déjà, au cours d’une guerre européenne, il eût redouté pour sa fille les excès possibles d’une soldatesque victorieuse, combien plus devait-il craindre ceux de cette race jaune, aux haines si féroces contre le blanc, aux cruautés et à l’imagination si raffinées ! Alors Jeanne levait la main d’un geste confiant et montrait le ciel, à la voûte duquel ne pouvait s’éteindre, pour ses yeux de chrétienne, l’étoile d’espérance !
Et pourtant un secret tourment hantait l’âme de la jeune fille. Elle oubliait sa propre détresse pour songer aux alarmes qui devaient torturer son fiancé, ce Roland, que la volonté paternelle avait éloigné d’elle, — momentanément, pensait-on alors, — et cette séparation serait peut-être éternelle !… Pauvre exilé ! ce serait lui qui connaîtrait les angoisses qu’elle-même eût éprouvées si cruelles loin de son père… Oh ! le péril de ceux que nous aimons, que nous ne pouvons secourir de notre présence, et dont nous sommes condamnés à ignorer les tristes péripéties