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adam bede.

Vous lui avez donné des baisers sans aucune intention, n’est-ce pas ? Et moi je ne l’ai jamais embrassée de ma vie ; mais j’aurais rudement travaillé pendant des années pour avoir le droit de le faire. Et vous traitez la chose légèrement ! Vous trouvez peu de faire ce qui fait tort aux autres, pourvu que vous ayez votre petit amusement qui ne signifie rien !… Je rejette vos faveurs, car vous n’êtes pas l’homme pour lequel je vous prenais. Je ne vous regarderai plus jamais comme mon ami. J’aimerais mieux que vous fussiez mon ennemi et que vous puissiez m’attaquer ici, où je vous attends, c’est la seule excuse que vous puissiez me faire. »

Le pauvre Adam, en proie à une rage qui ne pouvait trouver d’autre issue, commença par jeter son habit et son bonnet, trop aveuglé par la colère pour remarquer le changement qui s’était opéré chez Arthur pendant qu’il parlait. Les lèvres d’Arthur étaient maintenant aussi pâles que celles d’Adam ; son cœur battait violemment. La découverte de l’amour d’Adam pour Hetty était une secousse qui, pour le moment, éclairait sa conduite et lui montrait l’indignation et la souffrance d’Adam non-seulement comme une conséquence de sa faute, mais l’aggravant encore. Ces paroles de haine et de mépris, — les premières qu’il eût jamais entendues, — lui paraissaient comme des projectiles tranchants lui faisant des blessures ineffaçables. Le refuge des excuses intérieures, qui nous manque rarement, tant que les autres nous respectent, lui fit défaut en cet instant où il se trouvait face à face avec le plus grand mal irrémédiable qu’il eût jamais commis. Il n’avait que vingt et un ans, et, trois mois avant, même bien plus récemment, il pensait avec fierté qu’aucun homme ne serait jamais en droit de lui faire de justes reproches. Sa première impulsion, s’il en eût eu le temps, aurait peut-être été de chercher à se faire pardonner ; mais Adam ne se fut pas plutôt débarrassé de son habit et de son bonnet, qu’il s’aperçut qu’Arthur restait