Page:Genoude - Les Pères de l'Eglise, vol. 2.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle maigrit à vue d’œil, il ne reste que la chair adoptée par la nature, celle qui, mêlée au corps, entretient sa vie et le met en état de supporter les fatigues ; elle seule, dis-je, reste attachée à ces parties qu’elle unit, qu’elle soutient, qu’elle échauffe.

Si l’on sait faire toutes ces réflexions et admettre nos concessions sur les points controversés, on restera convaincu que dans aucun cas il n’est vrai de dire que la chair d’un homme s’attache à la chair d’un autre homme, soit que dans un moment de surprise on ait mangé de cette chair déguisée par un ennemi, de manière à tromper le goût, soit que dans un accès de folie, ou poussé par la faim, on ait dévoré des corps d’une nature semblable à la nôtre. Cependant, je ne prétends point parler de certains animaux qui ont une forme humaine, ni de ceux dont la nature tient à la fois de l’homme et de la bête, tels que les poëtes, dans leur hardiesse, ont coutume d’en imaginer.

VIII. Mais à quoi bon parler des corps humains, qui n’ont été destinés à nourrir aucun animal, et qui ne doivent avoir, à l’honneur de la nature, d’autre tombeau que la terre, puisque nous voyons que le créateur n’a pas assigné aux animaux eux-mêmes les animaux de la même espèce pour nourriture, bien qu’il leur présente dans d’autres espèces l’aliment qui leur convient ? Certes, si l’on peut nous démontrer que la chair humaine a été assignée à l’homme pour aliment, rien n’empêchera qu’on ne vive les uns des autres, comme de tant d’autres choses permises par la nature. Pourquoi ceux qui osent soutenir de pareilles absurdités ne font-ils pas servir à leur table, et n’offrent-ils pas à ceux qui leur sont chers, les corps de leurs intimes amis, comme les mets les plus délicieux et les plus convenables ? Mais s’il y a de l’impiété seulement à tenir ce langage, quelle action plus noire, quel crime plus horrible que celui d’un homme qui se repait de chair humaine ? quel mets soulève autant la nature ! D’un autre côté, s’il est vrai qu’un pareil mets ne peut alimenter le corps, et que dès lors il ne saurait s’allier à sa chair, il faut