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croyait les gagner par de l’or, ou les désarmer par quelques vaines pratiques. Ainsi, le culte romain, détruit dans ce qu’il avait eu jadis de patriotique, ne gardait plus que ce qu’il avait de corrupteur : religion immorale et mercenaire ; impiété malfaisante ; crédulité sans culte, qui s’attachait à mille impostures bizarres, étrangères à la patrie ; confusion de toutes les religions et de tous les vices dans ce vaste chaos de Rome ; dégradation des esprits par l’esclavage, par la bassesse et l’oisiveté, voilà ce qu’était devenu le polythéisme romain.

Que faisait cependant la philosophie pour le bonheur et l’exemple du monde ? quelle vertu salutaire exerçait-elle au milieu de tant de crimes et de maux ? L’un de ses plus éloquents interprètes, Sénèque, était ministre de Néron ; et bien que sa mort doive absoudre sa vie, bien qu’il ait été victime du tyran dont il fut l’apologiste, on ne peut voir en lui, malgré tout l’éclat de son talent, qu’un esprit faux et une âme faible, combinaison la plus favorable de toutes pour faire, sans remords, des choses honteuses. Lisez Tacite : Sénèque conseilla presque le meurtre d’Agrippine, et certainement il le justifia.

Ce n’est pas que ses ouvrages ne présentent, dans un degré remarquable, ce genre d’élévation qui tient à l’imagination plus qu’à l’âme, et qui trompe souvent les hommes, en leur faisant prendre l’enthousiasme passager de leurs idées pour la force de leur caractère, et en les engageant, sur cette confiance, dans des épreuves auxquelles ils ne suffisent pas. Sénèque professe une morale sévère, excessive même ; mais il y manque une sorte de sérieux et de vérité ; son style éblouit l’esprit, sans échauffer l’âme. La vertu n’est pour lui qu’un texte d’éloquence ; il la veut extraordinaire plutôt que bienfaisante ; il dispose les devoirs de la vie comme un poëte sans goût ordonne les événements d’un drame pour la surprise et non pour la vraisemblance. Sa morale, quelque rigoureuse qu’il veuille la faire, ne commande point la vertu, parce qu’elle n’exprime pas la conviction.

Quant à l’opinion de Sénèque sur le polythéisme, on jugera si la raison pouvait croire des fables dont il augmentait lui-