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foi à la fable qu’on lui avait racontée sur les soixante-douze cellules dans lesquelles les soixante-douze interprètes avaient été renfermés, etc. En troisième lieu, il aurait cité plus fidèlement l’Écriture-Sainte ; il en aurait mieux rendu le sens, il ne se serait point attaché à des explications allégoriques desquelles les Juifs sont en droit de ne faire aucun cas, et en général il aurait mieux raisonné qu’il n’a fait (Ibid. an. 139, § 3 et suiv. ; an. 140, § 2 et suivant.)

Tous ces reproches sont-ils justes ? Il est étrange que les protestants prétendent que, sans la connaissance de la langue hébraïque, les Pères ont été incapables d’entendre suffisamment l’Écriture-Sainte, pendant qu’ils soutiennent d’autre part que les simples fidèles, avec le secours d’une version, sont capables de fonder leur foi sur ce livre divin. Il eût été absurde que saint Justin argumentât sur le texte hébreu contre Tryphon, Juif helléniste, qui ignorait sans doute l’hébreu, mais qui se servait comme lui de la version des Septante. Quand saint Justin aurait été habile hébraïsant, et quand il aurait confronté la version avec le texte, il n’aurait pas été moins tenté d’accuser les Juifs d’avoir corrompu le texte que d’avoir falsifié la version, puisque plusieurs hébraïsants modernes ont soupçonné les Juifs de ce même crime.

Il est certain d’ailleurs que du temps de saint Justin il y avait une infinité de variantes et des différences considérables entre les divers exemplaires de la version des Septante ; c’est ce qui occasionna le travail qu’Origène entreprit sur cette version, dans le siècle suivant, et la confrontation qu’il en fit avec le texte et avec les autres versions. Il n’est donc pas étonnant que saint Justin ait attribué à l’infidélité des Juifs la différence qu’il voyait entre les diverses copies qu’il avait confrontées. Il reprochait aux Juifs tant d’autres crimes en ce genre, qu’il ne pouvait les croire incapables de celui-là. Suivant son opinion, détourner le sens d’une prophétie par une interprétation fausse, ou la supprimer dans un livre, c’était à peu près la même infidélité ; les Juifs étaient notoirement convaincus de la première ; saint Justin n’hésitait pas à leur attribuer la seconde. Nous ne pouvons pas douter que ce Père n’ait lu, dans l’exemplaire dont il se servait, les passages qui ne s’y trouvent plus aujourd’hui, puisque l’un a été cité de même par saint Irenée, et l’autre par Lactance. Il n’est pas absolument certain que ces interpolations aient été faites de mauvaise foi par des Chrétiens, puisqu’elles ont pu venir de quelques citations peu exactes faites par défaut de mémoire.

On doit se souvenir que ces sortes de citations ne sont pas un crime ; les anciens auteurs ne s’astreignaient pas à une exactitude littérale aussi