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sieurs villes d’Asie, pour l’entretenir, pour le consoler et pour lui apporter des secours d’argent ; car c’est une chose incroyable que le soin et la diligence que les Chrétiens apportent en ces rencontres : ils n’épargnent rien en pareil cas. Ils envoyèrent donc beaucoup d’argent à Péregrin, et sa prison lui fut une occasion d’amasser de grandes richesses ; car ces malheureux sont fermement persuadés qu’ils jouiront un jour d’une vie immortelle : c’est pourquoi ils méprisent la mort avec un grand courage, et s’offrent volontairement aux supplices. Leur premier législateur leur a mis dans l’esprit qu’ils sont tous frères. Après qu’ils se sont séparés de nous, ils rejettent constamment les dieux des Grecs, et n’adorant que ce sophiste qui a été crucifié, ils règlent leurs mœurs et leur conduite sur ses lois. Ainsi ils méprisent tous les biens de la terre, en les mettant en commun. »

Remarquons ici cette communion des biens proposée par Platon ; qu’on n’avait regardée jusqu’alors que comme une belle chimère, réalisée dans le Christianisme.

Lucien continue : « S’il se trouve dans quelque magicien ou faiseur de prestiges quelque homme rusé et qui sache profiter de l’occasion, qui entre dans leur société, il devient bientôt opulent, parce qu’un homme de cette espèce abuse facilement de la simplicité de ces idiots. Cependant Péregrin fut mis en liberté par le président de la Syrie, qui aimait la philosophie et ceux qui en font profession, et qui, s’étant apperçu que cet homme désirait la mort par vanité et pour se faire un nom, l’élargit, le méprisant assez pour ne vouloir pas le punir du dernier supplice. Péregrin retourna dans sa patrie ; et comme on voulait le poursuivre à cause de son parricide, il donna tous ses biens à ses concitoyens, qui, gagnés par cette libéralité, imposèrent silence à ses accusateurs.

« Il sortit une seconde fois de son pays pour aller voyager, comptant qu’il trouverait tout ce dont il aurait besoin dans la bourse des Chrétiens, qui effectivement l’accompagnaient quelque part qu’il allât, et lui fournissaient tout en abondance. Il subsista pendant quelque temps de cette façon ; mais ayant fait quelque chose que les Chrétiens regardent comme un crime (je pense qu’ils le virent faire usage de quelques viandes défendues parmi eux), il en fut abandonné : de sorte que n’ayant plus de quoi subsister, il voulut revenir contre la donation qu’il avait faite à sa patrie. »

Que les railleries que Lucien fait de la charité prodigue des Chrétiens leur sont glorieuses ! Une religion qui inspire de pareils sentiments est faite pour le bonheur des hommes.

La persécution commencée par Antonin, dans les dernières années de son empire, fut continuée par Marc-Aurèle, son successeur. C’est ce que nous