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naturelle, la plus gaie et la plus dénuée de prétentions qu’il eût jamais rencontrée ; et certainement, sans la méprise qui m’avoit donné tant d’aisance et de bonne humeur, il n’auroit vu en moi qu’une excessive timidité. Ainsi je ne dus ce succès qu’à une erreur ; il ne m’étoit pas possible de m’en enorgueillir. Connoissant toute l’indulgence de Rousseau, je le revis sans embarras et j’ai toujours été parfaitement à mon aise avec lui. Je n’ai jamais vu d’homme de lettres moins imposant et plus aimable. Il parloit de lui avec simplicité et de ses ennemis sans aucune aigreur. Il rendoit une entière justice aux talens de M. de Voltaire. Il disoit même qu’il étoit impossible que l’auteur de Zaïre et de Mérope ne fût pas né avec une âme très-sensible ; il ajoutoit que l’orgueil et la flatterie l’avoient corrompu. Il nous parla de ses Confessions, qu’il avoit lues à madame d’Egmont. Il me dit que j’étois trop jeune pour obtenir de lui la même preuve de confiance. À ce sujet il s’avisa de me demander si j’avois lu ses ouvrages, je lui répondis avec un peu d’embarras, que non. Il voulut savoir pourquoi ; ce qui m’embarrassa encore davantage, d’autant plus qu’il me regardoit fixement. Il avoit des