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cavalièrement tout ce qui me passoit par la tête. Il me trouva fort originale, et moi je trouvai qu’il jouoit avec une perfection que je ne me lassois pas d’admirer. Jamais les caricatures ne m’ont fait rire ; ce qui me charmoit, c’étoit la simplicité, le naturel, de celui que je croyois un comédien ; et, d’après cette idée, il me paroissoit bien supérieur en chambre à ce que je l’avois vu sur le théâtre. Cependant il me sembloit qu’il donnoit à Rousseau beaucoup trop d’indulgence, de bonhomie et de gaieté. Je jouai de la harpe, je chantai quelques airs du Devin du village. Rousseau me regardoit toujours en souriant, avec cette sorte de plaisir qu’inspire un enfantillage bien naturel ; et en nous quittant il promit de revenir le lendemain dîner avec nous. Il m’avoit tant divertie, que cette promesse m’enchanta, et j’en sautai de joie. Je le reconduisis jusqu’à la porte en lui disant toutes les douceurs et toutes les folies imaginables. Quand il fut sorti, je cessai tout-à-fait de me contraindre et je me mis à rire à gorge déployée ; M. de Genlis, stupéfait, me considéroit d’un air mécontent et sévère, qui redoubloit ma gaieté. « Je vois bien, lui dis-je, que vous reconnoissez enfin que vous ne