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pour lui un attachement exclusif et passionné. C’étoit un homme de cinquante ans, d’une probité parfaite ; il avoit beaucoup d’instruction, un très-grand mérite, mais la plus étrange figure que l’on puisse imaginer. Il étoit fort grand, très-maigre, ses épaules étoient abattues et abaissées d’une manière extraordinaire, et son cou d’une longueur démesurée. Au-dessus de ce cou, se trouvoit un visage très-couperosé, avec un nez prodigieux, des petits yeux bleuâtres tout ronds, sans paupières et sans sourcils, une bouche immense, le tout orné d’une perruque blonde, pommadée avec excès, et légèrement poudrée. Il portoit toujours un habit gris, serré et boutonné du haut jusqu’en bas ; on n’a jamais vu de laideur plus bizarre, plus frappante et plus complète. Cependant, quoique je la trouvasse surprenante, elle ne me déplaisoit pas ; cette singulière figure n’avoit rien de sinistre et de faux, et il y avoit de l’esprit et en même temps de la bonhomie dans son sourire. À la vérité, M. Tiquet sourioit bien rarement, il étoit naturellement grave, sévère et silencieux ; n’ayant jamais été accueilli par les femmes, il ne les haïssoit pas, mais il les boudoit toutes, et