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se donner de l’audace, les sœurs Lanvern ouvrirent leur porte. Elles ne conservaient plus guère d’espoir d’être conduites à bord du « Grèbe ». D’ailleurs, existait-il vraiment, ce brick annoncé par Job et Maharit ? Ces pauvres parents n’avaient-ils pas été victimes d’une hallucination ?

C’était marée basse et les jeunes filles marchaient maintenant sur des pierres goémoneuses où leurs pieds glissaient. Soudain, au détour d’un bloc gros comme une chaumière, des mains se posèrent sur leurs épaules. Elles jetèrent une exclamation d’épouvante.

— Taisez-vous, par le Christ ! les réprimanda Job.

— Silence, mes belles ! suppliait Maharit, embarquons vite.

Pendant le parcours, Anne, la plus hardie, les ayant interrogés sur Jean et Julien, ils signifièrent du geste qu’ils ne comprenaient pas et continuèrent de ramer.

Des propos de Gourlaouen le Rouge revinrent à la mémoire de Nonna. Ce pêcheur dédaigné par la jeune fille, lui avait dit un jour avec tristesse : « Malheureuse, vous ne vous apercevez donc pas que vous vous êtes fiancées à des âmes perdues, votre sœur et vous ? »

Anne poursuivait des pensées semblables, et elle était bien résolue, aussitôt arrivée sur le brick, de s’assurer de la réalité de son fiancé en le mettant en demeure de revenir à terre avec elle, afin de dire hardiment à Gurval : « Je commande avec mon frère un voilier caboteur dans lequel j’ai une part de bénéfices sur le fret. Ma situation est bonne. Je veux me marier avec votre fille. Accordez-la moi ! Nous avons trop attendu et vous n’avez aucune raison pour me la refuser. Ne vous mettez pas en peine de l’opinion des jaloux, nous irons vivre au loin. » La brodeuse décidait ainsi, quand une grande forme, floue comme une nuée, apparut dans le brouillard.

Les rameurs accostèrent à l’échelle de bois et aidèrent les sabotiers et les jeunes filles à grimper. La brume qui commençait à se résoudre en eau, ruisselait le long des haubans et communiquait à tous les objets touchés une viscosité répugnante. Presque défaillantes d’émotion, Nonna et Anne virent s’ouvrir devant elles de larges bras, et se sentirent pressées sur les poitrines humides de leurs fiancés, beaucoup plus grands qu’elles, et qui descendirent ensuite,