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son bord, portait ses voilures sur les épaules, précédé d’un mousse avec une lanterne. À l’aspect de deux étrangers vêtus de blanc dans un pays où tout le monde s’habille en sombre, ces gens jetèrent bas leur faix et voulurent se sauver Malheureusement pour nous, deux de ces pêcheurs, Gourlaouen et Nédélec, saisirent la lumière de leur mousse et nous éclairèrent en plein visage : ils nous reconnurent et prévinrent leurs compagnons.

— Hé ! camarades, les Buanic osent revenir. Rentrez d’où vous sortez, âmes perdues. À l’eau ! à l’eau !

Cramoisi de fureur, Job gronda :

— Oh ! il n’y aura de paix pour moi que lorsque j’aurai évidé comme des sabots les poitrines de tous ces cancres à deux pinces.

…Cependant les flammes du foyer avaient séché les vêtements de toile des marins et leurs visages réchauffés avaient repris tout leur charme. En comparant ces fiancés distingués aux rudes sardiniers, les jeunes filles les admirèrent dans toute l’innocence de leurs cœurs.

Coup sur coup, Job, pour se consoler, avait bu trois petits verres de vin chauffé et sucré.

— Allons ! allons ! fit-il rasséréné, à quand la noce, mes poulettes ?

— Notre père décidera, répondirent-elles en rougissant.

Et si Gurval changeait encore d’avis ? dit Jean soucieux.

Elles protestèrent qu’il ne pouvait pas en être ainsi, car leur mariage était du goût de leur père.

— Nous voudrions le croire, car c’est pour nous marier sans retard avec vous que nous sommes revenus, déclara Julien. Oui, pressons cette cérémonie, et puis vous partirez avec nous pour Marseille.

— Est-ce possible ? s’exclamèrent les brodeuses à la fois ravies et inquiètes.

— Oui, c’est possible et vous habiterez, là-bas, une petite maison rose au-dessus de l’Estaque, dans les mimosas. Vous connaîtrez le bonheur de ces pays clairs !

Leurs yeux d’océanides agrandis à l’évocation de ce paradis terrestre, mains jointes, Anne et Nonna, extasiées ne pouvaient plus parler.