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chapitre xvi

manifeste ou même une pure calomnie. S’ils avaient agi de la sorte à dater de 1730, on n’aurait pas vu le molinisme triompher successivement de l’épiscopat, du clergé séculier et régulier, et finalement de l’opinion publique ; la Révolution française aurait pu se produire cinquante ans plus tôt, et probablement sur la question du Formulaire et de la Bulle, car le xviiie siècle mieux connu, ce n’est pas le siècle des petits maîtres, de la Régence et des encyclopédistes, c’est avant tout, comme Brunetière avait fini par le reconnaître, le siècle de la Bulle Unigenitus.

On ne saurait imaginer en effet ce que cette Bulle a fait de jansénistes au commencement du règne de Louis XV ; il s’en rencontre partout dans la société française. La propre fille du Régent, devenue abbesse de Chelles, et son frère le duc d’Orléans y figurent au premier rang. On y voit de très grands seigneurs comme le duc de Saint-Simon et le duc de Mortemart, comme le fils de Fouquet, frère du maréchal de Belle-Isle, comme le fils de Mme  de Sévigné, qui mourut saintement sur la paroisse Saint-Jacques. Les fils de Racine avaient les sentiments de leur père ; la Bulle leur donna une nouvelle vigueur. L’aîné, Jean-Baptiste, gentilhomme de la chambre, se retira du monde et vécut dans une retraite studieuse ; il est mort à soixante-neuf ans en 1747. Il avait beaucoup écrit sur les questions du temps, mais il brûlait tous les samedis ce qu’il avait composé durant la semaine. Louis Racine, auteur du poème sur la Grâce (1720) qui mit en vers souvent bien frappés les vérités augustiniennes, et du beau poème de la Religion (1742), tout imprégné de l’esprit de Pascal, de Bossuet et de Port-Royal, n’est pas entré à l’Académie française en raison de son jansénisme. Il est mort en 1763, laissant des Mémoires