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histoire du mouvement janséniste

foulées aux pieds et le 22 septembre 1727 le concile d’Embrun déclara l’évêque de Senez suspendu de toute fonction épiscopale et sacerdotale jusqu’à ce qu’il eût rétracté et condamné son Instruction pastorale. Une lettre de cachet suivit aussitôt qui reléguait l’évêque octogénaire à l’abbaye de la Chaise-Dieu, dans les montagnes de l’Auvergne, à 1.200 mètres d’altitude, sur un plateau glacé balayé par les vents. Il y fut bien reçu par les moines, et l’on sait qu’il y vécut quatorze ans avec une grande sérénité, car il s’appliquait à lui-même le vinctus in Christo de saint Paul, et il s’intitulait prisonnier de Jésus-Christ. Il mourut à quatre-vingt-treize ans en 1740 et il devint aussitôt une sorte de héros légendaire.

La condamnation de l’évêque de Senez par le concile d’Embrun causa un soulèvement général. Le barreau de Paris s’émut, et cinquante de ses meilleurs avocats publièrent une consultation juridique qui fit grand bruit et qui fut admirablement accueillie. Douze évêques, et à leur tête le cardinal archevêque de Paris, écrivirent au roi une lettre indignée dans laquelle ils se plaignaient qu’on « renversât les lois les plus sacrées et les plus saintes libertés du royaume ». Trente-deux curés de Paris, trois cents curés du diocèse, qui était alors très vaste, cinq cents prêtres séculiers, quatorze cents protestataires de tout ordre s’élevèrent contre ce qu’on appelait le brigandage d’Embrun. Rien n’a plus contribué à rendre le jansénisme populaire et à le faire pénétrer, ce qui n’était jamais arrivé au temps de Port-Royal, dans les couches profondes de la société française. La lettre au roi fut renvoyée dédaigneusement aux évêques qui l’avaient signée, et dix d’entre eux répondirent à cette insulte par une remontrance imprimée dans laquelle ils re-