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chapitre premier

et les choses se sont faites. Voilà un premier principe admis sans discussion par les théologiens et par les philosophes. Mais en voici un second qui n’est pas moins indiscutable : Les créatures intelligentes sont capables de mériter ou de démériter ; donc elles ont été créées libres[1] ; et l’on ne voit pas bien comment cette liberté de la créature responsable peut se concilier avec la toute-puissance du Créateur. Il y a là une antinomie, disent les philosophes, et les théologiens ajoutent que c’est un mystère. Ce n’est pas tout encore ; la théologie intervient alors pour établir la doctrine du péché originel, pour enseigner que l’homme, ayant abusé de sa liberté native, n’a plus le pouvoir de se porter de lui-même vers le bien ; la concupiscence l’entraîne vers le mal, comme saint Paul le reconnaissait en gémissant. Pour que nous puissions faire le bien dans cet état de nature déchue, pour que nous observions les commandements, il faut de toute nécessité que Dieu dans sa miséricorde vienne à notre secours, qu’il nous accorde en vue des mérites du Rédempteur ce qu’on appelle sa grâce. Or la grâce est par essence un don gratuit que Dieu ne doit à personne. Il a choisi Jacob et rejeté son frère aîné, sans que l’on puisse le taxer d’injustice. Des deux larrons qui insultaient ensemble le crucifié, un seul a été sanctifié à l’exclusion de l’autre ; saint Pierre dans la cour du grand prêtre et saint Paul à Damas nous montrent de même combien il est difficile d’accorder l’action de la grâce avec le libre arbitre. Bossuet a tenté de le faire

  1. L’homme tient à son libre arbitre, et il a raison, mais il ne devrait pas oublier qu’il n’est pas admis, en venant au monde, à choisir son siècle, sa patrie, sa famille, sa condition, son sexe, son tempérament, son caractère, son plus ou moins de santé et d’intelligence, tout cela lui est imposé par le Créateur.