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chapitre viii

voulaient saint Paul et saint Jean ; on était mécontent de soi-même, jamais des autres ; pas une plainte, pas une récrimination, mais au contraire des témoignages de reconnaissance et des effusions de tendresse. La Sœur Anne-Eugénie de Saint-Ange Boulogne, veuve et mère avant de devenir religieuse, se laissa aller dans son interrogatoire à des épanchements qui touchèrent fort le doyen de Contes : « J’ai une grande estime pour toutes mes sœurs, lui dit-elle, et une affection si sensible pour chacune d’elles en particulier que je vous assure, comme étant devant Dieu, que la plus grande peine que j’ai ressentie dans la religion [c’est-à-dire au couvent] c’est de n’oser le témoigner par mes paroles ; car j’ai souvent eu la tentation de leur donner quelque marque extérieure de ce que j’ai dans mon cœur pour elles, et comme cela n’est pas permis, j’en ai bien des fois senti de la peine.[1] » Parlant de son obéissance, c’est-à-dire du service intérieur auquel elle était attachée, elle s’adressa encore au doyen : « Je lui dis comme je l’aimais, et que souvent en travaillant je pensais que les dames d’honneur des reines n’étaient pas si contentes de leur emploi comme je l’étais à faire les chausses de la communauté. M. le doyen dit : Je ne m’en étonne pas, vous travaillez pour des reines. Vous avez raison, monsieur, je regarde toutes mes sœurs encore au-dessus, et je comprends fort bien par la joie que j’ai d’être ainsi toujours à leurs pieds, celle que sainte Madeleine avait d’être aux pieds de Notre Seigneur. Enfin l’on est ici comme dans un paradis terrestre. Mais quelque contente que je sois, croyez-vous, Monsieur, que j’y voulusse demeurer s’il y avait la moindre des erreurs dont on nous accuse ? »

  1. Hist. des persécutions, p. 123.