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pas visible. Leur salon est une salle d’attente ; c’est quelquefois une antichambre.

Il y a encore d’autres femmes du monde qui sont nées gardes-malades, qui exercent sans diplôme la profession de médecin, à travers l’existence la plus élégante. Elles ont des recettes infaillibles pour tous les maux, on les surprend à toute heure préparant des tisanes et composant des drogues. Elles connaissent le nom de tous les bons apothicaires de Paris. Elles n’aiment pas la quinine de celui-là. Elles ne prennent jamais de laudanum que chez celui-ci. Elles vous recommandent bien de vous défier des sangsues d’un tel, mais vous pouvez lui demander de son émétique, elles ont été très-contentes de son émétique. Sous prétexte de vous guérir d’une innocente migraine, elles vous font les questions les plus indiscrètes ; une visite, chez elles, dégénère toujours en consultation. Leur salon est un cabinet de docteur, et leur boudoir une pharmacie.

Il y a encore d’autres femmes qui sont nées… (que l’on nous pardonne cette expression) qui sont nées… Nous n’osons le dire ! — Allons, courage ! qui sont nées… sergent de ville ! garde municipal, autrefois gendarme ! Ces femmes courageuses font gratuitement la police des salons ; elles vont et viennent de la salle de bal à la salle à manger avec un zèle et une activité infatigables ; elles traversent la foule, et la foule se range à leur seul aspect ; elles font taire les bavards quand on va chanter ; elles ordonnent aux hommes assis de céder leurs places aux femmes récemment arrivées ; elles font ouvrir les fenêtres, évacuer les portes, enlever les banquettes ; elles savent repousser avec énergie jusque dans l’office les rafraîchissements intempestifs, et les gens de la maison qui ne les connaissent point leur obéissent, comme les passants obéissent à un garde municipal inconnu. Ces femmes, en général, sont grandes comme de beaux hommes ; elles ont une bonne voix de commandement. Plus d’un colonel voudrait trouver, pour dire Portez arme, l’accent qu’elles trouvent pour crier : Chut ! chut donc, ou bien : On ne passe pas. Elles ont une attitude martiale qui impose un grand respect. Leur robe à brandebourgs ressemble toujours un peu à un uniforme ; leur toque de velours est un reste de chapeau à trois cornes, et leur bonnet… c’est un casque dégénéré.

Ces femmes ont quelques rapports avec d’autres femmes, Françaises et même Anglaises, qui sont nées… major allemand… Voilà qui va encore vous surprendre. Ces dames ont le teint fort animé, elles portent la tête haute, et les coudes en arrière ; elles ont toujours l’air de marcher