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si elle attend son mari on son amant ; à parler de la nouvelle du jour, à inventer celle du lendemain, à oublier celle de la veille et mille autres choses dont l’importance est universellement reconnue à Paris, comme encore : — le nom de la femme à la mode, — les jours de réception de madame N…, — si tel salon est blanc, s’il est orange, — si madame la comtesse de W… est revenue de la campagne, — si les gens qui n’ont rien à faire ont été à Baden plutôt qu’à Vichy, — si les voyages en Suisse sont encore de bon ton, — combien dépense le romancier*** et de combien il est endetté, — ce qui s’est perdu tel jour chez l’Américain K…, — comment M. R… ayant su que sa femme…, et comment la femme de M. R… ayant su que son mari…, tout avait fini par s’arranger, etc., etc. — Ils étaient à cent lieues d’en soupçonner même l’existence.

Ce n’était cependant pas pour rien qu’ils étaient des suppôts de Satan, car ils avaient à peine passé six semaines dans Paris, qu’ils le connaissaient aussi bien qu’un Anglais du duché de Yorkshire, qui y serait débarqué de la veille.

Néanmoins, s’ils avaient dans ce court séjour gagné de pouvoir se perdre dans la foule, il faut bien dire qu’ils n’avaient pas avancé d’un pas vers le but de leur expédition.

Comme il n’était venu dans la tête d’aucun de ces honnêtes diables qu’une des conditions de sécurité pour une ville comme Paris était que la moitié de ses habitants fut soumise à l’espionnage intéressé de l’autre, au lieu d’aller tout droit au bureau de police, où ils auraient appris, pour vingt sous, dans quel hôtel Flammèche était descendu, ils se livrèrent ingénument à un genre d’investigation dont la naïveté atteste suffisamment leur innocence.

L’un d’eux remarqua que des hommes s’adressaient à d’autres hommes dont le métier paraissait être de dormir au coin des rues, quand on ne les réveillait pas pour leur demander le numéro d’une maison ou toute autre chose ; il s’adressa à l’un de ces hommes, et s’étant informé auprès de lui s’il savait où demeurait « M. Flammèche…, » il en avait obtenu, en échange de sa demande, le conseil poli de s’adresser à l’épicier à côté ou au fruitier en face.

Mais l’épicier l’avait renvoyé au boucher, et le boucher à d’autres.