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L’air de Paris. — À Paris, toutes les femmes jouent un rôle ; c’est que le besoin de produire de l’effet leur compose une seconde nature, qui détruit toute la noblesse de la première ; c’est que la vanité, à Paris, est stérile, tandis que la vanité, à la campagne, est féconde. À Paris, une femme ne songe qu’à briller, son orgueil n’est qu’égoïsme ; elle, toujours elle sur le premier plan ; sa pensée est d’être la plus belle, la plus entourée, la plus spirituelle, la plus riche, la première enfin, toujours la première ; et vous tous, vous ses enfants, vous son mari, vous sa sœur, vous sa mère, vous êtes sacrifiés à ce besoin d’effet, qui est le mobile de toutes les actions de sa vie. À la campagne, au contraire, sa vanité se repose, ou plutôt elle vous appartient ; ses prétentions, bien loin de vous être hostiles, vous deviennent favorables, car maintenant son orgueil, c’est vous, c’est votre bien-être, ce sont vos plaisirs ; elle s’occupe de vous du matin au soir ; elle vous est rendue tout entière ; plus de préoccupation mondaine, elle n’a plus qu’un rôle à jouer, celui de bonne maîtresse de maison, et ce rôle lui sied à merveille. Sa vanité est votre joie ; cette vanité qui vous séparait d’elle à Pâris, là vous réunit à toutes les heures ; vous lui devez vos plus doux moments, et vous découvrez dans cette femme nouvelle mille qualités dont vous n’aviez aucune idée ; vous lui trouvez de l’esprit, et jusqu’alors vous aviez cru sincèrement qu’elle en manquait ; vous découvrez qu’elle est très-bonne musicienne, qu’elle chante bien ; talent gracieux qu’une rivalité de famille lui fait modestement cacher. « Ma cousine a une si belle voix, dit-elle, que je n’ose jamais chanter quand elle est là. » Vous lui découvrez enfin deux petits enfants adorables que vous n’aviez jamais vus et qu’elle élève parfaitement. Cette femme si moqueuse, si médisante à Paris, dans son château est bienveillante pour tout le monde. Si l’on vient à parler d’une de ses amies absente, elle en fera l’éloge, elle rendra justice à sa beauté ; à Paris, elle en est envieuse, elle ne peut lui pardonner ses beaux cheveux, ses admirateurs et ses diamants ; à la campagne, elle convient qu’elle est jolie, elle oublie ses succès qu’elle ne voit pas et ses diamants qui sont dans leur écrin ; elle lui écrit mille choses affectueuses, et elle est sincère. O prodige ! qu’est-ce que cela prouve ? Que l’air de Paris ne convient pas aux Parisiennes. La vanité et l’envie composent l’atmosphère ici, et cela suffit pour corrompre les plus belles natures.