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différente : — Moi, je n’ai pas peur des revenants, mais j’ai peur des voitures ; je reste une heure avant de me décider à traverser le boulevard, et quelquefois j’y renonce. — Moi, je n’ai pas peur des voitures ; je n’ai peur que des chemins de fer. — Moi, j’ai peur sur un balcon, sur une montagne, j’ai le vertige. — Moi, j’ai peur des voleurs ; je ne pourrais pas dormir sans une lampe dans ma chambre. — Moi, je n’ai peur que des morts ; je ne peux pas traverser un cimetière sans frémir. — Moi, j’ai peur des fous. — Moi, des gens ivres qui chantent des chœurs. — Moi, des bœufs. — Moi, des chauves-souris. — Moi, des araignées. — Moi, des couleuvres. — Moi, des ennuyeux. Et vous, madame, oh ! vous êtes calme, vous n’avez peur de rien ? — Moi ! si, j’ai peur des lâches. — Et moi, j’ai peur de tout ce que vous venez de nommer. — À la bonne heure, vous n’êtes pas une femme inconséquente, vous !


Causeries positives. — C’est là un des principaux ennuis du grand monde : entendre quelquefois, pendant une soirée entière, des femmes jeunes et vieilles, même des jeunes filles, parler fortune, dots, rentes, propriétés, maisons de rapport, usufruits, substitutions, etc., etc., avec un intérêt toujours croissant et une connaissance des faits admirable. Que des gens d’affaires, des commerçants s’appliquent à connaître la fortune de tous ceux qui les entourent, cela est tout simple : quand on a pour métier de vendre, il faut bien s’informer si ceux à qui l’on vend ont de quoi payer ; mais dans un salon, mais pour des personnes qui ont la prétention d’être futiles et généreuses, cette science de la fortune générale, cette étude du bilan universel a quelque chose de dégoûtant et de misérable. O gens bien élevés ! si votre vénalité vous porte à acquérir cette triste science, du moins que votre bon goût vous empêche de la faire valoir avec tant de pompe.


Dévotion des Parisiennes. — Le carême est fort brillant cette année, il lutte de plaisirs avec le carnaval ; c’est affreux à dire, mais il faut bien l’avouer, puisque cela est. On danse, on danse avec ardeur, comme on devrait prier, et certes on ne jeûne pas. Si vous voyiez souper nos élégantes, si vous saviez comme toutes ces nymphes mangent, vous ne vous croiriez point aux jours des privations pieuses ; vous ne comprendriez pas non plus pourquoi ces jeunes femmes sont si maigres.