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est leur force, que dans le ménage humain il faut que l’un des deux époux travaille pour que l’enfant soit nourri. L’homme s’étant croisé les bras, la femme s’est mise à l’ouvrage, et c’est pourquoi la femme n’existe plus.

Étudiez les mœurs du peuple ; voyez la femme de cet ouvrier, elle travaille, elle élève ses enfants, elle s’occupe de la boutique et de son ménage, elle n’a pas dans tout le jour un seul moment de repos. — Que fait donc son mari ? Où est-il ? — Au cabaret.

Regardez cette jeune fille, elle est couturière en linge. Son teint est pâle, ses yeux sont rouges, elle a dix-huit ans, elle n’est déjà plus jolie. Elle ne sort jamais, elle travaille nuit et jour. — Et son père ? — il est là dans l’estaminet voisin, occupé à lire les journaux.

Suivez cette belle femme. Comme elle marche rapidement ! elle regarde à sa montre avec inquiétude, elle est en retard, elle a déjà donné depuis ce matin quatre leçons de chant, elle en a encore trois à donner. C’est un métier bien fatigant. — Et son mari, que fait-il donc ? — Elle vient de le rencontrer ; il se promène sur le boulevard avec une actrice de petits théâtres.

Regardez encore cette pauvre femme : comme elle a l’air de s’ennuyer ! C’est une victime littéraire qui tâche de se faire une existence en écrivant. Ses médiocres ouvrages, qui se vendent assez bien, l’aident à vêtir convenablement sa petite fille. — Et son mari, où est-il donc ? — Il est au café là-bas, qui joue au billard, en faisant des plaisanteries contre les femmes auteurs.

Voyez encore chez tous les ministres courir, s’agiter, parler cette petite femme ; elle est riche, elle n’a pas besoin de travailler ; mais son mari est un homme tout à fait nul, qui ne parviendrait à rien sans elle. Elle veut le faire nommer à telle place, et elle va solliciter pour lui, pendant qu’il joue au whist dans quelque club.

Eh ! pensez-vous que ce soit pour leur plaisir que les femmes se fassent ainsi actives et courageuses ? Croyez-vous qu’elles ne préféreraient pas mille fois redevenir nonchalantes et petites-maîtresses, et qu’il ne leur semblerait pas infiniment plus doux de passer leurs jours étendues sur de soyeux divans, avec des poses de sultane, entourées de fleurs, parées des plus riches étoffes et n’ayant autre chose à faire que de plaire et d’être jolies ! En changeant leur nature, elles font un très-grand sacrifice, et qui leur coûte fort, croyez-le…

Ah ! vous ne savez pas ce qu’il faut de courage à une femme pour