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« A six francs ? Ce n’est pas la peine de monter. »

Nous étions tout au haut de l’escalier, presque sous les tuiles, et cette vieille, dont la figure était devenue de bois, me voyant étonné, dit : « Redescendons : notre meilleur marché c’est huit francs… payés d’avance. »

Alors, me remettant un peu, je répondis :

« Eh bien, madame, montrez-moi la chambre à huit francs. »

Elle grimpa les dernières marches et poussa dans les combles une petite porte coupée en équerre. Je regardai, c’était un coin du toit. Dans ce coin, sur un petit bois de lit vermoulu, s’étendaient un matelas et sa couverture, minces comme une galette. Tout contre se trouvaient la table de nuit, la cruche à eau ; et dans le toit s’ouvrait une fenêtre à quatre vitres, en tabatière.

Cela me parut bien triste de loger là.

« Décidez-vous, » me disait la vieille.

Et moi, songeant que je n’étais pas sur de trouver tout de suite de l’ouvrage, que je n’avais personne pour me prêter de l’argent, et que dans cette ville, où tout le monde ne songe qu’à soi, ma seule ressource était de ménager, je lui répondis :

« Eh bien, puisque c’est le meilleur marché, je prends cette chambre. — Vous faites bien, dit-elle, car les locataires ne manquent pas. » En descendant, elle me montra dans un coin une espèce de fontaine, en me disant ;

« Voici l’eau. »

Montborne montait encore, je revins avec lui. Il trouva ma chambre très-belle, d’autant plus qu’il restait de la place pour la malle. Ensuite, comme il était pressé, je lui payai ses trente-deux sous ; il me dit que deux maisons plus haut, à droite, près de l’hôtel de Cluny, je verrais le restaurant, et puis il s’en alla.

Je refermai la porte et je m’assis sur le lit, la tête entre les mains, tellement accablé d’être seul, au milieu d’une ville pareille, loin de tout secours, de toute connaissance, que pour la première fois de ma vie j’eus l’idée de m’engager.

« Qu’est-ce que je fais au monde ? me disais-je. Les autres sont heureux, les autres ont leur maison, leur femme, leurs enfants, ou bien ils ont leurs père et mère, leurs frères et sœurs… Moi, je n’ai rien que ma pauvre vieille mère Balais. Eh bien, si je m’engage, je ferai l’exercice, j’aurai la nourriture, le logement, l’habillement, et rien à soigner. Je