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Nous filions dans la rue. Les maisons, hautes et sombres, sales et grises, avec leurs milliers d’enseignes de toutes les couleurs, avaient l’air de se pencher. La diligence faisait un bruit terrible, les gens se serraient sur le trottoir, en continuant de courir. Ensuite la voiture prit à droite une autre rue un peu plus large.

En ce moment toutes les lucarnes de notre diligence étaient pleines de calottes rouges, qui se penchaient dehors pour voir.

« Voici la halle au blé ! » me dit encore le conducteur.

Quelques instants après nous entrions au pas, sous une voûte, dans la grande cour des messageries de la rue Saint-Honoré, et des centaines de gens entouraient notre diligence.

Dans cette cour, un grand nombre d’autres diligences se trouvaient en ligne. À chaque instant il en arrivait.

À mesure que nous sortions de la voiture, ou que nous descendions de l’impériale, des gens de toute espèce nous criaient :

« À l’hôtel d’Allemagne !

« À l’hôtel de Normandie ! »

Ils nous présentaient des cartes. D’autres, en blouse, avec de petites hottes, nous demandaient :

« Où allez-vous ? »

Je ne savais plus de quel côté me tourner. Je regardais mon conducteur, il entrait dans le bureau et s’arrêtait devant le trou d’un grillage, son portefeuille de cuir sous le bras. Il se mit à compter avec l’homme du bureau.

Derrière nous les parents : femmes, hommes, enfants, tous en chapeau, venaient recevoir leurs frères, leurs sœurs, leurs cousins. On s’embrassait, on envoyait quelqu’un chercher une voiture, on riait.

Moi, j’étais seul, on voyait bien que je ne devais pas être riche, on allait d’abord aider les autres. Je regardais descendre les paquets et les malles de la voiture ; au milieu de tous ces gens, dont plusieurs avaient de mauvaises figures, j’étais bouleversé : si l’on m’avait pris ma malle, qu’est-ce que je serais devenu ?

Et comme je restais là, dans un grand trouble, — parmi ce monde qui s’en allait et venait, entrait et sortait, réglait ses comptes, — ne sachant où descendre, enfin comme tombé du ciel, voilà qu’une figure s’approche et me dit :

« Hé ! c’est toi, Jean-Pierre ? »

Alors je regarde et je reconnais le fils Montborne, un de mes