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bas. Mais, qu’il ne l’oublie pas, pour lui, désormais, plus de repos. Quand l’homme d’esprit a paru dans la lice, il ne peut plus désarmer ; quand il ne règne pas, on l’opprime.

On vient de faire un livre sur un mot, sur ce titre : « le Roi Voltaire. » Sans faire tort à ce livre, je suis bien sûr que son titre n’est pas ce qu’il contient de pire.

Voltaire a eu cet honneur de prouver que l’esprit était le maître du monde, à une époque où le monde tout entier était à refaire. La besogne était immense, mais immense était son courage, et pas un jour son vaillant esprit ne faillit à la tache.

La tache aujourd’hui est moins grande ; est-ce pour cela que les ouvriers semblent manquer ? ou bien, au lieu d’être excités par les nobles exemples du passé, craignent-ils, après de tels devanciers, d’entrer dans la carrière ?

Hélas ! tous n’ont pas l’esprit de Voltaire, sans doute ! Tous n’ont pas non plus sa conscience et son âme indomptable, ni sa foi dans la toute-puissance de l’esprit. Mais qu’importe ? Ne fût-on qu’un soldat sous la bannière des grands esprits qui ont illuminé le monde, il faut servir. C’est le privilège de l’esprit, qu’alors même qu’il ne peut rien pour lui-même, il peut beaucoup pour les autres. L’esprit est le seul patron que sa clientèle n’abandonne pas ; car, la plupart du temps, il plaide gratis. Le jour n’est-il pas venu de rappeler à tous que l’esprit n’est point un simple talent d’agrément, et que le plus mince apport de l’homme d’esprit dans le monde sert autant ce monde que le plus admirable mouvement des machines dont s’enorgueillit, à bon droit d’ailleurs, l’industrie ?

p.-j. stahl.