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ou de l’honneur, ou de la vie de l’homme, ce qui ne laisserait pas grande autorité au maître si elle en avait un ; et voilà pourquoi elle se nomme à bon droit maîtresse.

Quand on dit : « M. le comte se promenait aujourd’hui au Bois avec sa maîtresse, » cela signifie que la maîtresse de M. le comte a voulu aller se promener au Bois, non pas à cause de l’envie que celui-ci en avait, mais malgré son envie.

J’ai mené ma maîtresse au bal, je conduirai cette année ma maîtresse en Italie ou aux eaux, je vais chez ma maîtresse, cela veut dire, dans les mœurs parisiennes, ma maîtresse veut que je la mène au bal, que je la conduise en Italie, et elle consent à me recevoir chez elle.

Ainsi une maîtresse parisienne vous laisse faire, non pas tout ce que vous voulez, mais bien tout ce qu’elle veut. Cela n’a pas toujours été ainsi ; on peut le voir par :

les maitresses astiques, qu’il ne faut pas confondre avec les vieilles maitresses.

Ouvrez le spirituel Horace, le mordant Juvénal, ou Ovide, et vous vous convaincrez qu’à Rome les maîtresses ne pouvaient sortir que du rang des esclaves. Aussi étaient-elles loin de représenter, par l’autorité, la fantaisie, le caprice souverain, la maîtresse parisienne, qui vous choisit avant que vous ne l’ayez choisie. Au premier pli du front, au plus léger sillon à l’angle des tempes, au moindre changement de nuance dans la pureté du teint ou l’émail bleuâtre des dents, le maître la renvoyait à sa maison des champs, à ses cuisines ou au service du bain ; et il s’en occupait ensuite autant que de la louve de Romulus.

Ce qui ôtait chez les Romains toute saveur à ces liaisons particulières, c’est le mépris qu’affectait la loi envers les femmes affranchies et les femmes esclaves. Elles étaient si peu considérées, que le mari qui les fréquentait publiquement ne passait pas pour adultère. Aucun opprobre, aucune flétrissure ne l’atteignait. Or, comme le nombre des femmes esclaves et des femmes affranchies étrusques, grecques, africaines, juives, formait l’immense majorité des femmes marchant sur le pavé de Rome, le concubinage y était aussi étendu que peu remarqué.

On voit que la maîtresse antique n’a rien de commun avec la maîtresse parisienne, si magnifiquement personnifiée dans celle qui osa dire un jour à son amant : « Quand finirez-vous de me compromettre ? Vous ne cessez de vous montrer en public avec votre femme. »