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divertir. — Il est inutile d’ajouter, madame, que Perrette fut en effet trouvée dans le jardin, et qu’elle était poudrée de la tête à la queue, et si agréable en cet état, que le président en faillit mourir de rire. Il n’eut garde de manquer à en faire le récit partout, finissant toujours par se tordre en disant : C’était le mouton de ma femme ! — D’où l’on m’appela le mouton de la présidente. — Hélas ! je fus heureux, madame, jusqu’au jour où la présidente, donnant de plus en plus dans la bergerie, se mit en tête qu’un seul mouton, — si bien poudré qu’il fut…

la vieille dame. — Vertu de ma mère ! monsieur.

le vieux monsieur. — Plait-il, madame ?

la vieille dame. — Continuez.

le vieux monsieur. — De sorte qu’au bout d’un certain temps le président aurait dû dire, en bonne conscience : — le troupeau de ma femme !

la vieille dame. — Et qui habite l’hôtel aujourd’hui, cher monsieur ?

le vieux monsieur. — Je ne sais. Vous comprendrez ma répugnance à y aller voir. La présidente émigra, et j’ai ouï dire qu’elle se remaria à l’étranger.

la vieille dame. — Ah ! fort bien ! — Vous avez sur votre tabatière un pastel qui me paraît distingué. C’est un portrait… Un portrait de femme !…

le vieux monsieur. souriant. — Vous êtes pénétrante, madame. Tenez, qu’en pensez-vous ?

la vieille dame. — Amusez-vous à regarder la mienne pendant ce temps-là. (ils font l’échange de leurs tabatières.)

le vieux monsieur, regardant la tabatière de la vieille dame. — Ciel ! c’est impossible !

la vieille dame. — Ah çà ! permettez, chevalier. — J’en aurais autant à vous dire. — Vous êtes un fat. Offrez-moi votre bras jusqu’à mon hôtel. Je ne sais trop si je vous dois rendre mon portrait, que vous allez montrer par les rues.

le vieux monsieur. — De grâce, chère présidente !… Et me permettez-vous de vous rendre le mien ?…

la vieille dame. — Je ne vous le demandais pas. — Lépine, portez Zamor. (Montrant le griffon.) Voilà, — avec vous, chevalier, — tout ce qui me reste de mon — troupeau. (ils s’éloignent.)

octave feuillet.