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PARIS ET LA PROVINCE

Si vous causez de son pays avec un Allemand qui soit en veine de confiance, il vous dira volontiers qu’une chose manque à l’Allemagne, c’est un Paris. Et beaucoup de Français, s’ils descendaient au fond de leur pensée secrète, vous confesseraient qu’il y a quelque chose de trop en France, c’est Paris.

Depuis les Girondins, il s’est fait bien des plaintes contre Paris.

« Paris mange la France et la tyrannise. Il tire à lui toutes les forces vives du pays, et dicte ses volontés à la province soumise, qui ne peut que courber la tête quand il a parlé, et reconnaître humblement, après coup, les gouvernements qu’il improvise à ses heures de caprice. »

C’est là ce que l’on entend tous les jours, et par une raison bien simple, c’est que c’est vrai.

Il est facile de concevoir qu’un pareil état de choses pèse lourdement aux vieilles cités, qui ont été autrefois des centres, et qui ne sont plus que des points perdus dans la circonférence. L’Alsace entre toutes les anciennes provinces, l’Alsace arrivée l’une des dernières, et qui se sent encore un pays à part, derrière ses montagnes, l’Alsace est tourmentée peut-être plus que toute autre par ce besoin de décentralisation qui fait en ce moment son tour de France ; besoin légitime, qui doit finir par trouver satisfaction, mais qui ne me paraît pas sur le bon chemin, quand il se traduit par des jalousies et des récriminations contre Paris.

Je voudrais essayer d’indiquer une autre voie, plus large et plus féconde.

Il n’est question, c’est entendu, que de la décentralisation intellectuelle, l’autre n’étant pas ici de notre compétence ; mais la première suffirait déjà, en attendant mieux, et si elle était une fois réalisée, le reste suivrait de lui-même, comme une conséquence obligée.

Dans l’état actuel des choses, prêcher des croisades contre Paris, c’est tout simplement conspirer contre la vie nationale, je parle de la vie de l’intelligence, puisqu’elle s’est concentrée là, et qu’on l’attaque dans sa place de refuge, c’est positivement le mot. L’Allemagne aurait demain son Paris, que Dresde, Munich, Stuttgart, Heidelberg et tant d’autres villes, grandes et petites, resteraient encore des centres intellectuels,