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quelque trentaine d’années. À mesure que les existences grandioses s’en vont, il en est de petites qui disparaissent. Les lierres, le lichen, les mousses, sont tout aussi bien balayés que les cèdres et les palmiers sont débités en planches. Le pittoresque des choses naïves et la grandeur princière s’émiettent sous le même pilon. Enfin, le peuple suit le souverain. Ces deux grandes choses s’en vont bras dessus bras dessous pour laisser la place nette au citoyen, au bourgeois, au prolétaire, à l’industrie et à ses victimes. Depuis qu’un homme supérieur a dit : Les rois s’en vont ! nous avons vu beaucoup plus de rois qu’autrefois, et c’est la preuve du mot. Plus on a fabriqué de rois, moins il y en a eu. Le roi, ce n’est pas un Louis-Philippe, un Charles X, un Frédéric, un Maximilien, un Murât quelconque, le roi, c’était Louis XIV ou Frédéric II. Il n’y a plus au monde que le Czar, qui réalise l’idée de roi, dont un regard donne ou la vie ou la mort, dont la parole ait le don de création, comme celle des Léon X, des Louis XIV, des Charles-Quint. La reine Victoria n’est qu’une dogaresse, comme tel roi constitutionnel n’est que le commis d’un peuple à tant de millions d’appointements.

Les trois ordres anciens sont remplacés par ce qui s’appelle aujourd’hui des classes. Nous possédons les classes lettrées, industrielles, supérieures, moyennes, etc. Et ces classes ont presque toutes des régents, comme au collège. On a changé les tyrans en tyranneaux, voilà tout. Chaque industrie a son Richelieu bourgeois qui s’appelle Laffitte ou Casimir Périer, dont l’envers est une caisse, et dont le mépris pour ses mainmortables n’a pas la grandeur d’un trône pour endroit !

En 1813 et 1814, époque à laquelle tant de géants allaient par les rues, où tant de gigantesques choses s’y coudoyaient, on pouvait remarquer bien des métiers totalement inconnus aujourd’hui.

Dans quelques années, l’allumeur de réverbères, qui dormait pendant le jour, famille sans autre domicile que le magasin de l’entrepreneur, et qui marchait occupée tout entière, la femme à nettoyer les vitres, l’homme à mettre de l’huile, les enfants à frotter les réflecteurs avec de mauvais linges ; qui passait le jour à préparer la nuit, qui passait la nuit à éteindre et rallumer le jour selon les fantaisies de la lune, cette famille vêtue d’huile sera entièrement perdue.