Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 3.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je vous attendais là, reprit Raymond. La question d’argent, la question de la dot avant toute autre, n’est-ce pas ?

— Pourquoi non ? dit Robert, est-ce que c’est déjà si honnête d’associer une femme à sa vie quand on n’a pas de quoi lui acheter des robes de cinq cents francs, des bracelets de mille écus et des montagnes de colifichets qui n’ont plus de prix ?

— Est-ce que c’est honnête, dit Raymond, de faire payer tout cela par sa femme et de croire qu’on le lui donne parce que le notaire y a passé ? Est-ce que c’est honnête d’exiger cinq cent mille francs d’une jeune fille pour lui apporter en retour des restes dont ne veulent plus mesdemoiselles ci et ça, des demoiselles dont leur portier ne voudrait pas pour arrière-cousines ?

Écoutez-moi, la question de l’âge, la question de la dot, c’est un des crimes des temps modernes, c’est le crime du père qui la donne, de la fille qui la transmet, pour être plus sûre sans doute qu’elle n’est pas aimée pour elle-même, et qu’à la différence de celles qui se vendaient à l’homme qu’elle va épouser, elle ne se vend pas, puisqu’elle achète ; mais c’est plus que le crime, c’est la honte du jeune homme, de l’homme fort qui la recherche, ou plutôt c’est la honte de l’état social, qui de l’union des êtres a fait affaire de sacs d’écus.

Pendant combien de temps encore nous laisserons-nous dire, soit en politique, soit en morale, que l’étranger peut ce que nous, Français, nous ne pourrions pas ?

Sommes-nous incapables de ce que font les Anglais, de ce que font les Américains, voire les Allemands, de ce que faisaient, pardieu ! nos bons aïeux, qui se mariaient et sans le sou, mais non sans cœur, dès qu’ils le pouvaient ?

La dot, la vie de votre femme, si elle n’est pas dans votre cerveau, au bout de vos bras à vingt-cinq ans, si vous prétendez qu’on vous l’apporte toute faite et par un autre, si, vous ne sentez pas qu’il est de votre honneur et de votre bonheur de l’édifier miette à miette, grain à grain, sou à sou par vos mains, vous n’êtes bons qu’à la dissiper, c’est moi qui vous le dis, ou à la serrer dans un sac comme pourrait le faire tout prodigue se croyant corrigé parce qu’il est devenu enfin avare, mais avare de ce qu’il n’a pas gagné.

Ah ! vous avez peur d’avoir à piocher pour nourrir votre femme légitime, mes petits messieurs ! Qui est-ce qui nourrit donc vos maîtresses, car il ne manquerait plus que vous les fissiez nourrir par d’autres ? Or,