Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 3.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand c’est le notaire seul et non l’amour qui noue l’intrigue, le mariage n’est plus que le plus vilain des romans, un roman d’affaires, c’est-à-dire quelque chose qui contient des procès et mène droit aux tribunaux.

— À votre compte, dit Robert, il faudrait se marier avant d’être né…

— Avant d’être né… né à la sottise, au vice : pourquoi pas ? Avec cela qu’il est beau le stage que vous faites faire à vos cœurs ! Que diriez-vous de magistrats qui, pour faire l’apprentissage de la justice, se feraient escrocs et filous, qui, pour mieux connaître la loi, commenceraient par la violer ? Ce que vous en diriez, dites-le de vous-mêmes et de l’usage que vous faites de votre vie de garçon, car c’est tout un.

Toutefois, décidons-nous ; lequel choisiriez-vous, s’il s’agissait de marier votre sœur : d’un jeune ou vieux gandin, experts l’un et l’autre dans l’art de vivre, amoureusement parlant, aux dépens d’autrui, sur le commun, comme on dit, de forcer portes et serrures et de soudoyer les femmes de chambre pour n’avoir à escalader ni murs ni balcons ; ou d’un vaillant garçon cherchant du cœur plutôt que des yeux à quelle jeune fille assez pure il pourra confier l’honneur de son nom, l’éducation de ses enfants et le bonheur de sa vie ?

On s’est moqué des pièces où l’amour finissait par un mariage ; par quoi donc pourrait-il mieux ou moins mal finir, je vous prie, s’il est vraiment l’amour, et par quoi finit-il, s’il vous plaît, quand ce n’est pas par un mariage ?

Sans parler du coup de poignard démodé d’Antony, trop viril pour nos mœurs, faut-il vous mettre sous les yeux la fin misérable, la fin honteuse et plate, la vieillesse piteuse de tous les amours qui n’ont pas pour résultat l’union solide de deux êtres résolus à constituer la maison, c’est-à-dire à mener l’amour à son but, et dont les plus grands exploits, quand ils ne sont pas stériles, consistent à mettre sur le pavé des enfants à qui la loi refuse le droit de chercher leurs pères ?

Exceptez, je le veux, car il faut être juste, exceptez dans la proportion de un sur mille ces rares amours de vrais anges égarés, non déchus, auxquels une vie manquée par la faute de quelque misérable mari, comme dans l’affaire de Max, auxquels des conditions spéciales et des vertus hors ligne méritent les respects attristés des braves gens, et obtiennent de la sympathie publique elle-même un bill d’immunité contre la loi ; n’ai-je pas cent fois raison ? et n’est-ce pas le cas de dire que ces difficiles exceptions ne font que confirmer la règle ?

— Encore faut-il, dit Robert, pour se mettre en ménage, avoir les