Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 3.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui sont le produit de vos livres, et qui n’en sont ni meilleures ni plus heureuses à coup sûr.

— Des élèves ! répondit Balzac plus flatté que fâché, envoyez-les-moi, elles en remontreront à leur maître. »

L’évolution a été de droit et toute naturelle dans un autre écrivain de génie, génie moins compliqué, mais pour cela même plus large et plus sincère. Nul à coup sûr, en aucun temps, n’a placé la passion plus haut que George Sand. Il la voulait grande, sublime toujours, si grande que le danger de l’exemple disparaissait presque dans ses hauteurs. Peu de cœurs en effet se sentaient le vol assez hardi pour tenter de la suivre sur les pics quasi inaccessibles où il la transportait. Rendons-lui cette justice qu’elle ne transigeait pas, la passion de celui-là, qu’elle n’était sous cette plume toujours fière, ni accommodante, ni facile, ni flexible et prête à tous les compromis comme celle de Balzac ; que si elle réclamait, que si elle exigeait tout, elle donnait tout en revanche. L’auteur de Jacques et de Valentine sentait bien, dans sa logique exaltée, que la passion ne pouvait faire croire à la légitimité de ses droits qu’en s’offrant à tous les sacrifices, et que la première condition pour qui prétend à planer au-dessus de tout, c’est de ne s’avilir par aucune des duplicités qui sont le châtiment des amours clandestins.

Mais ce génie loyal ne pouvait pas se tromper longtemps ; quand on cherche la lumière, on finit toujours par la trouver. Nous devons certes à la maturité de George Sand quelques-uns des plus chastes et les plus doux livres qui puissent honorer une grande littérature.

La passion contemporaine compte une œuvre, une seule peut-être, à laquelle, bien qu’elle ne procède que de la passion et rien que d’elle, on puisse assurer, tant elle est séduisante, tant elle est parfaite dans sa forme, une vie durable, supérieure à son inspiration. Mais, hélas ! cette œuvre a tué son auteur. Elle l’a épuisé et comme réduit au silence avant le temps. Je ne puis pas penser sans douleur à Alfred de Musset, morne et muet devant la moisson précoce de ses jeunes ans. De quoi est-il mort, sinon de l’amer chagrin de sentir sa virilité, sa maturité stériles ?

La muse brillante, mais ingrate, des amours qui ne peuvent pas durer, des amours qui donnent un démenti à la grande raison d’être de l’amour, et en tous cas à son excuse, à la famille, la muse du célibat avait fait de l’homme qui l’avait le mieux chantée un solitaire devant les devoirs de la vie. Quand cet homme sentit qu’il avait donné toute sa voix, que le souffle bien décidément lui manquait ; quand il se trouva, toute sa dépense