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Voilà que je chante au lieu de faire ma prière. Comme je suis triste, ce soir ! Les paroles de Marie ont jeté comme un poids sur mon cœur. Non, non, son sort ne sera pas le mien. Je reverrai Pierre, mon village, et le vieux curé, et ceux qui m’ont élevée. J’irai encore danser sous les tilleuls ; je me promènerai dans les prés tapissés de violettes du printemps ; j’entendrai le bruit des cloches et le tic-tac du moulin ; je quitterai Paris, la fabrique, le contre-maître. Je puis être encore heureuse, n’est-ce pas, mon Dieu ?

lettre de rose à mathurine.
Paris, jeudi 10 février 1814.
« Ma bonne mère,

Vous vous portez bien depuis que je ne vous ai vue, et Bruneau de même, et les enfants aussi. J’ai fait tout ce que vous m’aviez recommandé. Je travaille assidûment, je suis sage et je prie Dieu ; mais je ne puis rester davantage à Paris. Je souffre, je ne suis pas heureuse ; je ne puis pas tout vous dire dans une lettre, mais j’ai peur de me perdre en vivant ici. Je ferai tout ce que vous voudrez au village ; je travaillerai à la terre, s’il le faut, plutôt que de continuer et à demeurer loin de vous. Si vous saviez, je suis bien malheureuse, allez ! Dites au messager de venir me prendre, il m’emmènera dans sa carriole, et bientôt je pourrai vous embrasser.

Votre dévouée fille,
Rose. »

Mon cœur est parti avec cette lettre ; je me sens gaie en allant à l’atelier. En me voyant à la fenêtre de ma mansarde, la fleuriste m’a souri : jamais ses fleurs ne m’ont paru plus jolies et plus fraîches que ce matin, c’est d’un heureux présage.

Le contre-maître m’a arrêtée un moment au passage pour me demander comment je me trouvais à Paris.

« Très-bien ! lui ai-je répondu avec une franchise qui l’a encouragé.

— En ce cas, vous me permettrez de remplacer votre protectrice, et de vous faire promener dimanche dans Paris ?