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songe qu’il m’aurait bien pardonné. Pierre ne m’avait-il pas promis de m’épouser quand il serait riche ?

La primevère et la pervenche,
L’une sourit, l’autre se penche ;
Toutes deux sont des fleurs d’avril.
Le bien-aimé quand viendra-t-il ?

« Que nous chante-t-elle avec ses pervenches, la villageoise ?

— Ohé ! la villageoise, répète un peu cette chanson.

La villageoise, donne-moi l’adresse de celui qui t’a appris cet air ; je veux qu’on le chante à mon enterrement. »

Tout le monde se moque de moi ; on m’entoure, on rit, les petites filles elles-mêmes et les petits garçons ; et moi d’être confuse et de rougir. Tu ne sortiras plus de mes lèvres, douce chanson !

Sans le contre-maître, je ne sais pas comment cette scène aurait fini ; heureusement il est arrivé pour prendre ma défense ; chacun a repris sa place, on m’a laissée tranquille, et on ne m’a rien dit tout le reste de la journée. Seulement une ouvrière qui quittait la filature en même temps que moi, a dit, en me montrant à sa compagne :

« C’est à elle qu’il en veut maintenant. »

De qui voulait-elle parler ?

Le contre-maître est un bon cœur, je l’avais bien jugé. Ce soir, pendant que je soupais tristement toute seule, j’ai entendu qu’on frappait à ma porte.

« Qui est là ?

— Ouvrez ; c’est moi. »

J’ai reconnu la voix du contre-maître, et je l’ai fait entrer.

« Mon enfant, m’a-t-il dit, celle à qui vos parents vous ont recommandée m’a prié de la remplacer près de vous. J’ai accepté volontiers, parce que vous me paraissez sage…

— Je tâcherai de l’être toujours.

— Et puis vous êtes si jolie ! » Et son regard se fixa sur moi.

Je baissai les yeux sans répondre.

« Ce logement, ajouta-t-il, ne vous convient pas, nous en trouverons un autre ; si le travail vous fatigue, prenez du repos…

— Oh ! non, je veux travailler pour gagner ma vie !

— Vous n’en aurez pas besoin, si vous voulez. »