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sourire. Je la considérai longtemps avec attention, sans qu’elle parut s’en douter. Sa pensée errait loin des lieux où nous étions, son visage restait immobile, son corps seul suivait les mouvements de son ouvrage.

Les travaux vont cesser ; l’heure du départ vient de sonner : tout le monde a quitté l’atelier. La vieille femme m’a conduite dans la chambre qu’elle a louée pour moi. Le contre-maître est content de mon habileté, je gagnerai vingt sous par jour. C’est une bonne nouvelle qu’elle m’apprend ; mais pourquoi faut-il qu’elle la gâte en m’annonçant qu’elle est obligée de quitter Paris pour plusieurs jours ! Bonne vieille, je l’aimais déjà. Allons, voilà ma première journée de passée ; voici le moment de prier Dieu. D’où vient qu’en m’endormant, je songe encore à ces mots, de ma voisine : « Tu comprendras ? »

Vis-à-vis de moi habite une jeune fleuriste ; j’ai aperçu ce matin son établi semé de fleurs parmi lesquelles se jouaient les rayons du soleil. J’ai reconnu des primevères et des pervenches.

La primevère et la pervenche,
L’une sourit, l’autre se penche ;
Toutes deux sont des fleurs d’avril.
Le bien-aimé quand viendra-t-il ?

Ce refrain de nos campagnes me fait pleurer malgré moi ; allons, du courage, un dernier regard à ces fleurs. Celle qui les fait est bien heureuse ! Elle est là, dans sa petite chambre, travaillant seule tout le jour, copiant les lis et les marguerites du bon Dieu, tandis que moi… Pourquoi mes parents ne m’ont-ils pas appris ce métier ? Hélas ! je n’ai plus de parents, et ceux qui m’ont élevée étaient trop pauvres pour cela. On n’a pas besoin de fleuriste au village.

L’air du matin que j’ai senti en venant ici était bien doux à respirer, et celui de l’atelier est bien lourd. Ma voisine n’a point encore paru ; je ne la connais pas, mais elle me manque. Les autres ont l’air si froides, si indifférentes ! Pendant que mon métier tourne, qui sait ce que l’on fait à la maison ? Bruneau est aux champs, Mathurine file, Jacqueline s’est emparée de mon rouet : elle est assez grande pour gagner de l’argent ; Jacques est à l’école ou sert la messe à monsieur le curé. Brave homme ! il ne m’a grondée qu’une fois dans sa vie, le jour où il crut que Pierre m’avait pris un baiser ; et moi je soutenais que non. Oh ! c’est un men-