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signes de son esclavage. J’entrevoyais comme dans un rêve ses petites bottines en satin blanc, perchées sur de hauts talons rouges ! Ce n’est pas que cela fût très-grec, mais c’était adorable..

Je suis fou, me dis-je enfin, il y a là une erreur, et tout à coup je me rappelle que Paul était précisément le nom de mon ami de V…, qui m’avait prêté mon costume de Turc. Je me rappelai en outre que j’avais aperçu, dans le commencement de la soirée, un Turc semblable au mien. Je jurai immédiatement sur mon turban de retrouver l’esclave grecque, et je commençai immédiatement mes recherches. Cependant le petit paquet me chatouillait singulièrement, et d’invincibles tentations d’en examiner le contenu me poursuivaient sans relâche.

Je me disais :

« Après tout, cette jeune esclave m’a appelé Paul, mais peut-être a-t-elle voulu dire Henri ; il n’y a peut-être pas d’erreur. »

La Providence voulut qu’au moment même où cette pensée me traversait le cerveau, je fusse seul dans un petit boudoir tout rond. Je n’y tins plus, j’enlevai mon gant et je… — que diable voulez-vous, on n’est pas parfait, — j’ouvris le petit paquet. Il contenait un médaillon de forme Louis XVI assez semblable à celui que j’avais vu avant dîner. Ce n’était pourtant pas le même, et celui-ci renfermait une jolie mèche de cheveux blonds. Cette mèche avait été mise à la hâte, et je surpris quelques petits cheveux fins et brillant qui, pris dans la monture au moment où on avait fermé le médaillon disparaissaient çà et là. *

À ce moment, je crus entendre du bruit ; j’entortillai bien vite le petit bijou dans son papier et je m’éloignai. Quelques instants encore je cherchai mon esclave grecque et mon Turc introuvable ; puis, m’apercevant qu’il était trois heures et demie du matin, et sûr d’ailleurs de pouvoir renvoyer la mèche de cheveux à destination, je gagnai ma voiture et rentrai chez moi. En me déshabillant, j’aperçus sur mon front une large trace rouge causée par la pression de cet affreux turban. J’avais un mal de tête fou. Je me mis au lit et je m’endormis bientôt.

Je rêvai que je commandais une galère admirable. Le piston aux cheveux en brosse, armé jusqu’aux dents, se tenait au gouvernail, lançant sur la boussole son fameux regard terrible. De temps en temps il s’échappait de l’entre-pont des gémissements affreux ; le piston grinçait des dents en souriant d’une effrayante façon, et moi je disais la main sur mon poignard :

« Pousse au large, mon pilote fidèle, cette esclave est à moi. »