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trois millions de dot. Les journaux donnaient son adresse, mais elle ne recevait pas. On se tuait à sa porte, on soupirait sous ses fenêtres, on attaquait en vers et en prose sa vertu et ses millions. Plusieurs devinrent sérieusement amoureux et la demandèrent sans dot, pour elle-même. — Un Anglais l’enleva enfin, et fut très-désappointé de trouver, au lieu d’une tête de mort, une figure assez jolie, qui avait spéculé sur une réputation de laideur pour se faire trouver charmante. — O illusion !

Qui ne se souvient encore de l’invalide à la tête de bois ?

Les journaux se multiplièrent… le canard s’agrandit : le Constitutionnel, le Courrier et les Débats étaient encore bien petits cependant.

Mais dans l’intervalle des sessions, durant les longs mois des vacances politiques et judiciaires, ils sentirent le besoin de donner à la curiosité un aliment capable de soutenir l’abonnement compromis. Ce fut alors que l’on vit reparaître triomphalement le grand serpent de mer oublié depuis le moyen âge et les voyages de Marco Polo, — auquel on ne tarda pas à adjoindre la grande et véritable araignée de mer, qui tendait ses toiles aux vaisseaux et dont un lieutenant portugais coupa vaillamment, à coups de hache, une patte monstrueuse qui fut rapportée à Lisbonne.

Ajoutez à cela une collection intéressante de centenaires et de bicentenaires, de veaux à deux têtes, d’accouchements bizarres et autres canetons des petits jours.

Quelques-uns avaient une teinte politique : tel était le bateau sous-marin destiné à tirer Napoléon de son île ; puis le soldat de l’Empire, échappé de la Sibérie, qui se mettait en marche généralement vers le mois de septembre.

D’autres avaient rapport aux arts ou à la science : ainsi l’araignée dilettante, les pluies de têtards, un Anglais couvant des œufs de canard — par affection pour leur mère, — le crapaud trouvé dans un mur bâti depuis plusieurs siècles, et autres qui ont fait le charme de notre enfance constitutionnelle.