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cuisinière de déjeuner, toute spéciale, et qui s’y entend. Le petit de B…, bien entendu, ne dîne qu’au cabaret : chez Bignon, chez Riche, au Grand-Hôtel, ou, mieux encore, au Cercle. Ne lui parlez pas de la Maison-Dorée ou de n’importe quel autre restaurant… gargottes infectes que tout cela ! (Le petit B… est très-entier dans ses opinions, qui rarement, au reste, lui appartiennent en propre.) C’est durant ce déjeuner léger, un peu anglais par la forme, qu’il ouvre les journaux, le Sport tout d’abord, qui l’intéresse beaucoup, et puis ensuite la Vie Parisienne, qu’il faut lire pour faire comme tout le monde, mais qui choque parfois ses idées religieuses. Cent fois même il eût été sur le point de répondre à certains articles vraiment révoltants, mais sa diable d’orthographe, dont il est un peu embarrassé, l’a toujours retenu, outre que le temps lui manquait.

Après le déjeuner il songe sérieusement à sa toilette ; son coiffeur l’attend. On le frise en boule tandis qu’il choisit un pantalon, un gilet, une veste, puis passe dans un cabinet de toilette, et, au bout de trois quarts d’heure, apparaît transformé, frais comme une rose, sentant bon, le regard brillant. Vers les deux heures il a boutonné ses gants à trois boutons et installé avec soin son chapeau sur sa tête en se regardant dans son armoire à glace. Suivant qu’il va voir Loloche ou monte à cheval, il prend sa canne ou sa cravache. Il n’est pas rare qu’il rentre chez lui vers quatre ou cinq heures pour changer de linge et de vêtements, avant d’aller à l’Impérial, faire un petit bac. Il est à la fois de plusieurs clubs (prononcez cleubs), ce qui lui permet d’avoir toujours un petit bac (lisez baccarat) sous la main. La partie se faisant, dans ces différents endroits, à des heures différentes, le petit de B… est à la fois du petit Club, du Sporting, de l’impérial et du Mirliton. S’il dîne au Cercle, ce qui n’est pas rare, il y arrive à sept heures ou sept heures et demie, en sortant du Bois ; il est brisé, son cheval est rendu. Fort heureusement son valet de chambre, qu’il a prévenu, lui a apporté sa toilette du soir, et rien au monde n’est réparateur et hygiénique comme de changer de linge et de vêtements. Sa toilette du soir est invariablement la même. Qu’il aille à une première des Variétés ou qu’il pousse jusqu’aux Italiens, à l’Opéra, entendre un petit air, qu’il visite Titiche ou qu’il fasse une apparition dans le monde, — car enfin il est du monde, — il est en tenue de bal et décolleté jusqu’à la ceinture. Ses bottines sont des bottines de femme, talon haut et pointu, couture sur le milieu. Pendant longtemps il a porté le soir, à la boutonnière, un bouton de rose orné de sa feuille, mais depuis qu’il a son petit ordre étranger, il risque la chaînette.