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UNE MARCHANDE À LA TOILETTE
ou
MADAME LA RESSOURCE EN 1844

les comédies qu’on peut voir gratis a paris

par h. de balzac

Jusqu’à présent, les peintres de mœurs ont mis en scène beaucoup d’usuriers ; mais on a oublié l’usurière des femmes dans l’embarras, la madame La Ressource d’aujourd’hui, personnage excessivement curieux, appelée décemment marchande à la toilette.

Avez-vous quelquefois en flânant remarqué dans Paris une de ces boutiques dont la négligence fait tache au milieu des éblouissants magasins modernes, boutiques à devanture peinte en 1820 et qu’une faillite a laissées au propriétaire de la maison dans un état douteux ? La couleur a disparu sous une double couche imprimée par l’usage et grassement épaissie par la poussière ; les vitres sont sales, le bec-de-cane tourne de lui-même, comme dans tous les endroits d’où l’on sort encore plus promptement qu’on n’y entre. Là, trône une femme entre les plus belles parures arrivées à cette phase horrible où les robes ne sont plus des robes et ne sont pas encore des haillons. Le cadre est en harmonie avec la figure que cette femme se compose, car ces boutiques sont une des plus sinistres particularités de Paris. On y voit des défroques que la Mort y a jetées de sa main décharnée, et l’on entend alors le râle d’une phthisie sous un châle, comme on y devine l’agonie de la misère sous une robe brodée d’or. Les atroces débats entre le luxe et la faim sont écrits là sur de légères dentelles. On y trouve la physionomie d’une reine sous un turban à plumes, dont la pose rappelle et rétablit presque la figure absente. C’est le hideux dans le joli ! Le fouet de Juvénal, agité par les mains officielles du commissaire-priseur, y a éparpillé les manchons pelés, les fourrures flétries de quelques grandes dames aux abois. C’est un fumier de fleurs où, çà et là, brillent des roses coupées d’hier,