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FEUILLETS DE L’ALBUM D’UN JEUNE RAPIN
par théophile gautier

vocation.


e ne répéterai pas cette charge trop connue qui fait commencer ainsi la biographie d’un grand homme : « Il naquit à l’âge de trois ans, de parents pauvres, mais malhonnêtes. » — Je dois le jour (le leur rendrai-je ?) à des parents cossus, mais bourgeois, qui m’ont infligé un nom de famille ridicule, auquel un parrain et une marraine, non moins stupides, ont ajouté un nom de baptême tout aussi désagréable. — N’est-ce pas une chose absurde que d’être obligé de répondre à un certain assemblage de syllabes qui vous déplaisent ? Soyez donc un grand maître en vous appelant Lamerluche, Tartempion ou Gobillard ! À vingt ans l’on devrait se choisir un nom selon son goût et sa vocation. On signerait, à la manière des femmes mariées, Anafesto (né Falempin), Florizel (né Barbochu), ainsi qu’on l’entendrait ; de cette façon, des gens noirs comme des Abyssins ne s’appelleraient pas Leblanc, et ainsi de suite.

Mes père et mère, six semaines après que j’eus été sevré, prirent cette résolution commune à tous les parents de faire de moi un avocat, ou un médecin, ou un notaire. Ce dessein ne fit que se fortifier avec le temps. Il est évident que j’avais les plus belles dispositions pour l’un de ces trois états : j’étais bavard, je médicamentais les hannetons, et je ne cassais qu’au jour voulu les tirelires où je mettais mes sous ; — ce qui faisait pressentir la faconde de l’avocat, la hardiesse anatomique du médecin et la fidélité du notaire à garder les dépôts. En conséquence, on me mit au collège, où j’appris peu de latin et encore moins de grec ; il est vrai que j’y devins un parfait éleveur de vers à soie, et que mes cochons d’Inde dépassaient pour l’instruction et la grâce du maintien ceux du Savoyard le plus habile. — Dès la troisième, ayant reconnu la vanité des études classiques, je m’adonnai au bel art de la natation, et