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c’est que nous vous offrons une place pour aller voir la Belle Gabrielle à la Gaîté. Nous vous en offrons même deux, ce qui vous permettra d’y conduire une femme.

— J’ignore d’où vient cette vengeance, insistait Baliveau, mais jouons cartes sur table. Les auteurs sont très-souvent gênés : vous changerez le nom de votre personnage et je vous donne cent cinquante francs. »

Nous nous efforcions de lui faire comprendre que nos âmes étaient inaccessibles à ce mode de corruption et qu’on ne nous achetait pas comme des hommes politiques, lorsqu’il s’écria tout à coup, comme frappé d’une pensée soudaine :

« Je devine ! c’est Faverjeon qui me joue ce tour-là. Il est furieux contre moi, parce que je l’ai empêché d’être nommé membre du conseil municipal, et il sera venu vous prier de me mettre sur les planches. Oh ! le misérable ! il m’avait bien dit qu’il me revaudrait ça ! Seulement, il y aurait un excellent moyen de le punir, ce serait de mettre son nom à la place du mien. »

Essayer de convaincre un homme dans cet état que Faverjeon nous était aussi inconnu que Baliveau, c’eût été aller de gaieté de cœur au-devant d’une insulte. Nous prîmes congé de l’homme de Villeneuve-Saint-Georges et nous ne l’avons jamais revu. Mais j’apprendrais un de ces jours que Baliveau vient d’être condamné pour attentat sur la personne de Faverjeon que j’en serais médiocrement surpris. Et je suis sûr que Choler partage cette impression.

Il y a pourtant, à l’usage des citoyens ombrageux, un procédé infaillible pour éviter que leurs noms de famille brillent en vedette sur les affiches de théâtre. Ce procédé consiste à devenir tellement célèbre qu’on ne puisse sans inconvenance donner votre nom à un personnage de vaudeville. Jamais, sur aucune scène, un auteur n’a appelé un limonadier Alfred de Musset, ni un pharmacien Prosper Mérimée. Ce serait s’exposer à des murmures que de faire dire à la bonne dans une comédie, même mêlée de couplets :

« Voilà M. Lamartine le coiffeur, qui apporte les faux cheveux de madame. »

Mais c’est comme un fait exprès, les gens qui se plaignent qu’on usurpe leurs noms emploient pour empêcher ce désagrément les moyens les plus compliqués, et ne pensent jamais à celui-là, qui est si simple.