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Quoi qu’il en soit, ni dans ces mers, ni sur ces écueils, aucun être organisé n’existait alors, aucun n’aurait pu exister sur ce sol embrasé, dans ces eaux brûlantes, dans ces torrents de vapeurs étouffantes ou d’acide carbonique qui remplissaient l’atmosphère, quand les cataractes du ciel vomissaient des pluies effroyables d’eau, de soufre, de silice, de potassium, enfin de toutes les matières liquéfiées qui ont formé les roches primitives. Le soleil éclairait un monde échappé à peine des fournaises de la création, un soleil lui-même fumant, bouillonnant, noir, chauve, informe, désert, où il n’y avait pas le plus mince coquillage, le plus chétif brin de mousse pour célébrer la gloire du Créateur, où rien n’annonçait encore ce séjour de l’homme où, selon Milton, deux êtres

Imparadis’d in one another’s arms
The happier Eden shall enjoy their fill
Of bliss on bliss…

III

Après quelques milliers d’années, la température de la terre se trouva abaissée, la disposition des eaux changée, et les volcans diminués de nombre et de largeur ne formaient plus au globe que des ceintures de feux. La surface terrestre cessant de bouillonner, la mer avait, à plusieurs reprises, déposé dans les immenses vallées, dans les profondes cavités, du granit primitif, des terrains nouveaux dont la nature et la position changèrent plusieurs fois, et qu’on a appelés terrains de transition. Après eux apparurent deux grandes îles formées de calcaire, de grès, de marbre, d’ardoise, de serpentine, luisantes, onctueuses, noirâtres, dont les cavités étaient remplies par des marais ou des tourbières. Dans ces îles encore à demi brûlantes et noyées dans les vapeurs, avec une atmosphère encore chargée d’eau et d’acide carbonique, « la nature organisante, dit Cuvier, commença à disputer l’empire à la première nature, à la nature morte et purement minérale » et dans les terrains dont ces îles étaient formées, nous pouvons reconnaître l’existence d’êtres organiques, soit par des empreintes, soit par des pétrifications, soit par des débris qui ont conservé leur état naturel. Ces êtres ne pouvaient vivre que dans la mer ou sur ses rivages d’un côté, c’étaient des mollusques, dont les coquilles innombrables semblent, par les élégances