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fois qu’un jeune homme est reconnu avoir plus de talent que ses rivaux, je n’ai jamais pu savoir au juste pourquoi on l’envoie à Rome.

Rome a été de tout temps célèbre par les sept collines dont il ne reste plus que trois, sans qu’il ait été possible à personne de dire dans quelle collection sont aujourd’hui les quatre autres. Rome est encore renommée pour son Colisée, sa colonne Trajane, ses buffles et sa mal’aria, mais je cherche inutilement quel genre de musique les lauréats peuvent aller étudier pendant quatre ans dans la Ville Éternelle, à moins que ce ne soit la musique militaire de la garnison française, qui n’a plus que dix-huit mois à y résider, s’il faut en croire la convention du 15 septembre.

Qu’on envoie à Rome des peintres, des sculpteurs et des architectes, c’est tout simple ; mais en quoi les cartons de Raphaël et la coupole de Saint-Pierre peuvent-ils inspirer le quatrième acte des Huguenots ou le quintette du cadenas de la Flûte enchantée ? voilà ce que j’ignore. En admettant que les prix de Rome aillent de temps en temps à la chapelle Sixtine entendre chanter les camarades du petit Mortara, il n’y a pas là de quoi développer beaucoup chez un fils d’Apollon les facultés lyriques.

Un jour viendra, croyons-le, où l’on supprimera les prix de Rome comme on est en train de supprimer les courses au quart d’heure et les jeux d’Allemagne. Il est encore d’autres jeux dont je réclame personnellement la suppression, ce sont les exercices que j’ai vu exécuter l’autre soir au Cirque des Champs-Elysées par une petite fille de neuf ans.

La pauvre enfant s’enroulait comme une couleuvre autour d’un trapèze très-élevé où elle finissait par se tenir simplement par le menton, de sorte que toute la satisfaction du public consistait à se dire :

« Si elle tombe, le moins qu’elle puisse faire, c’est de se casser les reins. Se les cassera-t-elle ou ne se les cassera-t-elle pas ? »

La censure dramatique qui, dans un vaudeville de la Restauration, a biffé le mot barbe de capucin sur le menu d’un dîner, aurait peut-être mieux mérité de la patrie en appliquant sa susceptibilité à ces sauts périlleux qui mettent en danger la vie des enfants. Que Léotard franchisse plusieurs trapèzes et qu’il finisse par se casser la jambe dans ses évolutions, c’est son affaire : il est majeur, marié et séparé de sa femme, personne ne le force donc à exercer cette profession aérienne.

Mais les petits êtres qu’on disloque sans les consulter, et qu’on prive de dessert quand ils refusent de marcher la tête en bas à qua-